L’art oublié de la discipline

Comment naviguer en eaux troubles

Par Richard Haber, M.D
 
J’ai observé dans ma pratique que les parents manquent souvent de confiance quand on aborde la question de discipline dans l’éducation des enfants. Dans certains cas, quand on voit une mère tenter d’amadouer son enfant pour qu’il fasse quelque chose qu’il ne veut vraiment pas faire, on peut se demander si les rôles du parent et de l’enfant n’ont pas été inversés. Dans cet article sur la discipline, je vais me limiter aux enfants d’âge préscolaire.
 
Quand on aborde ce vaste sujet qu’est la discipline, il est souhaitable de se rappeler le bon vieil adage qui dit qu’on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre. Les psychologues du comportement nous enseignent qu’il vaut mieux récompenser un enfant (par un bon mot, un câlin, etc.) quand il se comporte comme le parent le souhaite que de le punir [quand il se comporte mal]. Si vous observez un dresseur d’animaux, vous verrez que ça fonctionne très bien. Les dresseurs ont toujours une récompense à donner à l’animal qui fait ce qu’on lui demande; ils punissent rarement, sinon jamais, l’animal qui n’obéit pas. J’ai souvent remarqué comment certaines mères arrivent à discipliner leur enfant d’un seul mot glissé discrètement plutôt qu’en élevant la voix et en répétant sans cesse leurs demandes pour que l’enfant cesse de mal se comporter. Ce sont des mères qui comprennent l’importance de récompenser un bon comportement.
 
Le mot « discipline » est dérivé du mot latin disciplina, qui veut dire « instruction » ou « connaissance » — « instruction donnée à un disciple ». Les jeunes parents d’un enfant rebelle de 2 ou 3 ans se retrouvent souvent dans un véritable tourbillon; il est alors sage de prendre un peu de recul et de se rappeler que discipliner un enfant veut dire l’instruire, lui enseigner; lui transmettre de nouvelles connaissances sur la façon de se comporter dans une certaine situation; lui fournir des outils pour apprendre à maîtriser ses émotions.
 
Un modèle simple
 
Lorsqu’un jeune enfant grandit et se développe, il a besoin d’un contrôle extérieur sur son comportement, un contrôle qui ne sera intériorisé dans une conscience que plus tard.  
Voici un modèle de comportement simple, que je trouve utile pour les parents qui se débattent avec ce problème. Premièrement, les parents doivent s’asseoir calmement et réfléchir aux objectifs qu’ils veulent atteindre avec leur enfant quand il est question de discipline. Quelles sont les règles de base du comportement acceptable qu’ils espèrent? Ces règles de base doivent tenir compte du stade de développement de l’enfant; elles doivent être simples et compréhensibles pour l’enfant. Les deux parents doivent s’entendre sur ces règles de base et se soutenir mutuellement dans leur application. Deuxièmement, il faut toujours se rappeler que certaines batailles n’ont pas à être gagnées par le parent. Une victoire à la Pyrrhus est une victoire pour laquelle l’énergie émotionnelle investie pour régler le conflit ne vaut pas ce qui est en jeu. Cela s’applique souvent aux chicanes entre frères et sœurs. Tant qu’ils ne se blessent pas physiquement, il est parfois sage pour le parent de laisser les frères et sœurs régler leurs différends au lieu de toujours intervenir dans le conflit. Invariablement, la décision arbitraire du parent va prolonger la rivalité fraternelle en apaisant l’un des enfants et en enflammant l’autre. Troisièmement, il faut qu’il y ait des conséquences claires si l’enfant ne respecte pas les règles. Ces conséquences, selon l’âge, peuvent aller d’une période raisonnable d’isolement de l’enfant (« période de réflexion ») au retrait de certains privilèges (p. ex., confiscation d’un jeu vidéo pour une période déterminée). Les conséquences à une violation des règles doivent invariablement suivre l’événement et elles doivent suivre l’infraction de près dans le temps. Un jeune enfant qui mord un ami doit savoir que c’est un comportement inacceptable, mais si la conséquence (comme une période de réflexion) est imposée la semaine suivante, l’enfant ne fera pas le lien entre les deux événements.
 
Le mauvais message
La punition physique, comme la fessée, n’est pas un outil efficace pour discipliner – c’est-à-dire instruire – l’enfant. Premièrement, cela crée une ambiguïté au sujet de la relation parent-enfant. Si le parent est le « soleil » dans la vie d’un jeune enfant, celui qui aime inconditionnellement, alors… « Comment ma mère ou mon père peut-il m’aimer quand il me donne la fessée? » Deuxièmement, le parent qui donne la fessée se trouve à enseigner l’opposé de ce qu’il veut transmettre, c’est-à-dire que l’agression devient une réponse adéquate quand quelqu’un vous empêche de faire ce que vous voulez. Troisièmement, et peut-être le point le plus important, la fessée est tout à fait inefficace pour atteindre le but recherché par le parent. Ceci dit, une légère tape sur les fesses pour attirer l’attention sur un comportement dangereux, comme se mettre à courir sur une route très passante, peut être admissible.
 
Enfin, je pense que de nombreux jeunes parents sont tellement bombardés de conseils de pseudo-psychologie, dans des émissions-débats ou sur des sites internet, qu’ils ont peur de causer des problèmes psychologiques à leur enfant en le « disciplinant ». Nous avons tous déjà assisté à une crise de colère d’un enfant de 3 ans avec, à ses côtés, son père paralysé, ne sachant que faire; en fait, ce que l’enfant demande fondamentalement au parent c’est de fixer une limite à ce comportement, une limite que l’enfant lui-même est incapable d’appliquer. Mon message est simple : une bonne discipline est importante pour former des adolescents et des adultes équilibrés et psychologiquement sains, et les parents ne doivent pas avoir peur d’être le « parent » plutôt que « l’enfant » dans leur relation avec leurs enfants. Comme « parents », nous sommes censés utiliser la disciplina et instruire nos enfants. Ils n’en attendent pas moins de nous.
 
Richard Haber, M.D., FAAP et FRCPC, est professeur agrégé de pédiatrie à l’Université McGill et directeur du Centre de consultation pédiatrique à L’Hôpital de Montréal pour enfants.