Crânes, doubles échecs et commotions cérébrales : lourd tribut pour les jeunes joueurs de hockey québécois

Tiré de ctvmontreal.com
 
MONTRÉAL – Se faire sonner les cloches. Secouer. Frapper à la tête… Et endommager le cerveau.
 
Les commotions cérébrales constituent une véritable épidémie silencieuse que l’on a longtemps associée aux sports de contact professionnels. Cependant, il est maintenant démontré que les commotions cérébrales chez les adolescents et les préadolescents sont plus fréquentes et plus dommageables que ce que l’on croyait auparavant.
 
Les experts estiment que 20 000 joueurs de hockey canadiens qui évoluent au rang junior subiront une commotion cérébrale cette saison, et que la plupart d’entre eux vont continuer à jouer malgré les dommages au cerveau, tous encouragés par leurs entraîneurs, leurs coéquipiers et leurs parents.
 
Au Québec, les mises en échec sont interdites aux joueurs de hockey jusqu’à l’âge de 13 ans, soit deux ans de plus que leurs homologues du reste du pays. C’est une mesure à laquelle réfléchit Hockey États-Unis parce que le travail des chercheurs médicaux montre bien que les mises en échec sur des enfants peuvent provoquer facilement des commotions cérébrales.
 
Mathieu Menniti, joueur de catégorie midget, n’en connaît que trop bien les dangers, lui qui a été blessé gravement durant une partie. « J’ai été frappé par l’arrière. Un joueur a sauté sur mon dos. Je suis allé m’écraser tête première contre la bande et je suis resté au sol, je savais que quelque chose n’allait pas. Je me sentais différent », raconte Mathieu.
 
Cette saison seulement, trois autres joueurs de son équipe Midget Espoir, dont George Stuart, ont aussi subi une commotion cérébrale. « J’étais assez inquiet, parce qu’au début, je n’étais pas certain de ce qui se passait, se rappelle George. J’étais comme étourdi, confus. Je dois avouer que c’était épeurant. »
 
L’interdiction de la mise en échec réduit les blessures chez les joueurs de catégorie peewee
 
Une étude menée par l’Université de Calgary et publiée dans le Journal of the American Medical Association a suivi des milliers de joueurs peewee de 11 et 12 ans au Québec et en Alberta. En 2007-2008, 73 joueurs de l’Alberta ont subi des commotions cérébrales, dont 14 étaient considérées comme graves.
 
Au Québec, où les mises en échec sont interdites, seulement 20 joueurs ont souffert de traumatismes crâniens, et 4 de ces cas étaient graves.
 
La saison dernière, une étude de l’Université de l’Alberta a suivi deux ligues mineures à Edmonton et a constaté que 10 % des joueurs manquaient au moins une partie à cause d’une commotion cérébrale. En Ontario, les statistiques sont encore pires, avec 25 % des joueurs souffrant d’un traumatisme crânien léger.
 
Jouer malgré la blessure : la pire chose à faire
 
Cette dernière année, trois cents enfants se sont rendus à la clinique de commotions cérébrales de L’Hôpital de Montréal pour enfants. Shannon Lee, 15 ans, y a fait plusieurs visites après avoir subi deux commotions cérébrales en six mois. Cette joueuse de ringuette a repassé la vidéo de ses parties encore et encore, mais elle ne sait toujours pas quelle collision a causé sa blessure.
 
« Je me souviens seulement qu’en quittant la glace lors d’un changement, j’étais très, très étourdie, mais je ne savais pas pourquoi, raconte Shannon. Je ne me souvenais pas avoir été frappée, alors j’ai pensé à la déshydratation ou à quelque chose comme ça, et le lendemain, j’ai joué, et j’ai joué encore. » Les spécialistes disent que c’est la pire chose à faire.
 
Debbie Friedman, directrice du service de traumatologie à L’Hôpital de Montréal pour enfants, explique que les effets d’une commotion cérébrale peuvent durer des mois, et qu’une première commotion peut rapidement mener à une deuxième. « Le plus important, c’est de ne jamais, jamais, jamais jouer en étant blessé », précise Mme Friedman. Une commotion cérébrale, en termes simples, ça vaut dire que le cerveau s’est fait brasser à l’intérieur du crâne.
 
Les personnes qui ont subi une commotion cérébrale présentent une variété de symptômes, certains physiques, d'autres, mentaux, incluant « des maux de tête, des problèmes de concentration, de la fatigue, une plus grande sensibilité à la lumière et au bruit, et une baisse d’efficacité dans les activités de tous les jours », rapporte la Dre Friedman.
 
Des dommages qui peuvent durer toute la vie
 
Le Dr Alain Ptito étudie les effets des commotions cérébrales sur les enfants de 10 à 17 ans en se servant d’examens d’IRM pour mesurer l’activité cérébrale avant et après le traumatisme.
 
Chez un adulte sur cinq environ, les symptômes d’une commotion cérébrale persistent durant des années, si ce n’est toute la vie. Le Dr Ptito s’attendait à ce que le cerveau des enfants récupère plus vite après une commotion cérébrale, mais il s’est avéré que leur récupération n’est pas meilleure.
 
« C’est inquiétant, parce que cela signifie que le cerveau est probablement très vulnérable », explique le Dr Ptito. Quiconque a déjà subi une commotion cérébrale est trois fois plus susceptible d’en subir une autre, et on dispose d’autres éléments montrant que même une seule commotion cérébrale, à plus forte raison plusieurs, peut causer une dépression, de la démence et d’autres problèmes.
 
Anthony Fiumidinisi est un joueur qui a dû accrocher ses patins pour de bon après avoir subi trois commotions cérébrales en deux ans. « Je manquais l’école, je ne jouais pas au hockey et c’était juste très douloureux », se rappelle Anthony.
 
Il a joué alors qu’il avait subi une commotion cérébrale, et il a fini par se blesser encore plus gravement une deuxième et une troisième fois. « Je voulais gagner en les aidant à revenir de l’arrière et j’en ai payé le prix. J’ai subi une autre commotion cérébrale », dit-il.
 
Son père souligne qu’Anthony, comme bien d’autres joueurs, n’a jamais soufflé mot de deux de ses commotions cérébrales. « Vous devez vraiment les observer et deviner ce qui se passe, parce qu’ils ne vous disent pas la vérité », précise Al Fiumidinisi.
 
Refuser de se rendre à l’évidence, vouloir être un dur, jouer malgré la douleur... Ce sont tous des comportements que les joueurs juniors adoptent pour imiter les professionnels. Mais, même le meilleur joueur au pays n’est pas immunisé.

Sidney Crosby absent du jeu depuis un mois
 
Sid le Kid, l’homme qui a compté le but en or aux Jeux olympiques d’hiver 2010, n’a pas sauté sur la glace depuis le début janvier. Il a été sonné le 1er janvier lors de la Classique hivernale, puis cinq jours plus tard, un coup asséné par Victor Hedman de Tampa Bay a envoyé Crosby sur les genoux et hors jeu.
 
« Je pense que dans le sport, nous sommes encore aux prises avec une attitude de déni, la tendance à minimiser, à tirer un trait, à essayer de jouer quand même durant cette période supplémentaire, se disant qu’on fera bien face », rapporte le Dr Ptito. Les médecins ne sont même pas certains que Crosby pourra revenir au jeu cette saison.
 
« Ça ne me fera aucun bien de revenir trop tôt, avec ce que j’éprouve maintenant, et évidemment risquer que ça se reproduise », dit Crosby.
 
Recommandations officielles
 
Alors que le joueur de la LNH qui bénéficie de la plus grande visibilité est hors jeu depuis plus d’un mois, et peut-être pour la moitié de la saison, Hockey Canada revoit ses recommandations pour les joueurs juniors. Selon les recommandations actuelles, si l’entraîneur a des doutes après qu’un joueur eut été frappé, il doit le garder sur le banc et exiger une note du médecin avant le retour au jeu.
 
L’organisme recommande aussi qu’une personne de chaque équipe ait une formation de base sur les commotions cérébrales, mais selon Todd Jackson, « ce que nous voulons, c’est accélérer ce processus d’éducation, garder ce sujet à l’ordre du jour et le réactualiser ».
 
Todd Jackson ne peut toutefois pas dire exactement ce qui sera fait, et quand.
 
Shannon Lee quant à elle n’a pas le choix; elle n’aura pas l’autorisation de reprendre le jeu tant que ses symptômes n’auront pas complètement disparu. Et c’est un moment que sa mère Trista Leggett redoute : « Elle ne voit pas tout le tableau. J’écoute ce que les gens disent et ce que les professionnels disent, et je suis très inquiète. »
 
Mathieu Menniti, qui risque une troisième commotion cérébrale, essaie de ne pas penser à ce qui pourrait arriver. « N’importe quelle partie peut faire une différence. Vous ne savez jamais qui regarde. Vous savez que pendant que vous jouez, il y a peut-être un dépisteur qui vous observe et qui peut vous donner votre laissez-passer pour le prochain échelon », explique Mathieu. Mais, il est tout aussi évident qu’une carrière peut se terminer durant n’importe quelle partie sur un coup à la tête.
 
Pour consulter le rapport spécial complet sur les commotions cérébrales présenté par CTV News, cliquez ici.
 
Pour en savoir plus sur les commotions cérébrales, cliquez ici pour consulter le Kit pour commotion cérébrale et la brochure Le traumatisme crânio-cérébral léger.