Dépêches du Bénin no 5 : Rien que pour elle…

Il est très tôt et je me trouve à l’aéroport Charles de Gaulle à Paris, plutôt qu’à Bruxelles d’où je devais repartir initialement. Mais au lieu de rentrer à Montréal, je mets le cap sur Los Angeles.

En fait, j’avais annulé ma mission à bord de l’Africa Mercy pendant les Fêtes, quand l’état de santé de mon père malade s’est aggravé. Un autre chirurgien s’est porté volontaire pour me remplacer, mais il a dû faire marche arrière pour des raisons personnelles. À ce moment, j’avais déjà reçu une liste de patients et le besoin sautait aux yeux. J’ai donc pris la difficile décision de partir pour l’Afrique malgré l’état de santé de mon père, remettant tout entre les mains de Dieu.

Le 17 janvier, 10 jours après mon arrivée à bord, j’ai pris la décision de partir le lendemain soir pour Los Angeles, où mon père venait d’être hospitalisé. Afin de respecter notre engagement à l’égard des patients, le personnel du bloc opératoire et des soins infirmiers de l’Africa Mercy s’est remis au travail, réorganisant l’horaire des admissions et du bloc opératoire pour me permettre de terminer ma mission. S’en sont suivi deux longues journées en salle d’opération aux côtés d’anesthésistes et d’infirmières qui ont travaillé bien au-delà des heures normales, sautant leurs repas et mettant leurs propres besoins de côté. Nous avons réussi. Deux heures avant que je quitte le navire hier soir, nous avions terminé toutes les opérations de notre liste, sauf pour deux patients qui avaient des problèmes relativement simples et qui seront pris en charge par un chirurgien général en avril. Il y a un temps pour tout, et il était temps de quitter le navire.  

Parmi les patients que nous avons réussi à soigner se trouve Béa, cette petite fille qui avait un énorme tératome dans le dos depuis sa naissance et dont nous avions dû reporter l’opération en raison d’un épisode de malaria. Depuis le jour de mon arrivée, une partie de la tumeur s’était nécrosée (était morte), laissant place à une terrible puanteur. Béa souffrait; la seule pensée qu’un parent puisse voir son enfant souffrir à ce point sans pouvoir faire quoi que ce soit me mettait les larmes aux yeux chaque fois que je voyais l’enfant et sa mère.

Finalement, la veille de mon départ, nous avons pu amener Béa en salle d’opération. Après 7 heures d’une intervention complexe, le monstre qu’elle portait sur son dos depuis 18 mois était enlevé. La tumeur pesait 2,3 kg, soit le quart du poids total de l’enfant. Dans la salle de réveil, j’ai vu un premier sourire sur le visage de sa mère. Le lendemain de l’opération, je suis allée voir Béa à trois reprises. Elle avait l’air tellement bien. Je suis tout de même triste d’avoir dû partir si tôt après son opération, mais je suis rassurée de savoir que Yasmine est encore là pour deux autres journées. Je vais rester en contact avec les infirmières et les médecins du navire, dont le savoir-faire et le dévouement sont incomparables.

Chaque fois que je vais en Afrique, j’opère un grand nombre de patients aux prises avec différents problèmes. Et chaque fois, il y a un patient qui me fait dire que le voyage en aurait valu la peine même si je n’étais venu que pour lui. Ce voyage n’a pas fait exception. Nous avons opéré 25 patients, la plupart aux prises avec des problèmes complexes. Mais Béa est cette patiente, celle qui me fait dire que si j’avais fait le voyage rien que pour elle, il en aurait valu la peine.

Le docteur Sherif Emil est chirurgien pédiatre et directeur de la division de chirurgie thoracique et de chirurgie générale pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Pendant 2 semaines, il fera partie de l’équipage bénévole de l’Africa Mercy, amarré en ce moment à Cotonou, au Bénin. L’Africa Mercy est le plus grand navire-hôpital civil au monde qui a pour mission d’apporter espoir et guérison aux dizaines de milliers de populations défavorisées dans le monde.

 

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