Le Viagra pour aider les bébés privés d'oxygène à la naissance

Une chercheuse du CUSM à la tête d’un traitement innovant à l’Hôpital de Montréal pour enfants

«  Nous n’avions plus rien à perdre, que des choses à gagner », ont été les premières pensées d’Aleyda Jimenez et de Michel Lévesque quand ils ont décidé de faire participer leur fils Antoine, alors âgé d’un jour, à un nouvel essai clinique dirigé par la Dre Pia Wintermark, pédiatre et néonatologiste à l’Hôpital de Montréal pour enfants du Centre universitaire de santé McGill (HME-CUSM). La Dre Wintermark et son équipe à l’Institut de recherche du CUSM (IR-CUSM) étudient l’effet du Viagra, la populaire pilule bleue, pour « réparer » le cerveau des nouveau-nés ayant été privés d’oxygène au moment de l’accouchement.

Malgré toutes les précautions prises, il arrive qu’il y ait des complications pendant l’accouchement et que tout ne se passe pas comme prévu. C’est ce qui est arrivé à Aleyda, quand elle a arrêté de sentir son bébé bouger pendant plus de 24 heures.  « Tout se passait très bien jusqu’à cet incident. Antoine a été privé d’oxygène à la naissance et a dû être réanimé, ce qui a eu de graves répercussions sur sa santé, notamment sur son cœur et ses poumons », confie-t-elle.

L'asphyxie néonatale, c’est-à-dire quand le bébé ne reçoit pas assez d’oxygène à la naissance, survient dans quatre naissances sur 1000. Les lésions causées au cerveau peuvent entrainer des troubles de l’apprentissage et du développement, voire la paralysie cérébrale. Elles sont parfois fatales. 

Actuellement, il n’existe qu’un seul traitement pour les nouveau-nés qui manquent d’oxygène ou de sang à la naissance : l’hypothermie (refroidissement). Le programme est en place à l’HME-CUSM depuis 2008. La température corporelle des bébés est abaissée à 33,5 ˚C pendant 72 heures, ce qui permet au cerveau de récupérer suite au manque d’oxygène en prévenant le retour d’un trop grand flux sanguin dans le cerveau après un tel traumatisme. De nombreuses études ont déjà prouvé que l'hypothermie diminue l'importance des dommages neurologiques sur le cerveau, mais ce traitement ne fonctionne malheureusement que pour un bébé sur sept.

En analysant le cerveau des nouveau-nés avec l'imagerie par résonance magnétique (IRM), l'équipe de la Dre Wintermark a observé que le froid ne prévient pas toujours une augmentation excessive et néfaste du flux sanguin au cerveau. « Ça a été une surprise. On pensait qu’il fallait attendre 7 à 10 jours après la naissance pour savoir si le bébé avait des dommages au cerveau malgré le traitement par hypothermie, alors que dès le deuxième jour de vie, il est déjà possible de visualiser les dommages au cerveau », explique-t-elle.

Pour la première fois, les chercheurs ont donc décidé de coupler le traitement d’hypothermie et le traitement expérimental au sildénafil – ce médicament commercialisé sous le nom de Viagra  – chez les bébés qui ont des dommages au cerveau dès le 2 e jour de vie. L’effet du sildénafil est de dilater les vaisseaux sanguins, ce qui facilite l’érection masculine, ce pour quoi le médicament est connu. « Quand on parle de Viagra, ce n’est pas le premier usage auquel on pense, mais c’est un médicament utilisé depuis des années par les pédiatres pour traiter l’hypertension pulmonaire et d’autres problèmes respiratoires chez les bébés et les enfants plus grands. Il est également à l’étude chez des patients adultes ayant subi un accident vasculaire cérébral », précise la Dre Wintermark, scientifique au sein du programme en santé de l'enfant et en développement humain de l’IR-CUSM.

 « Nous avons testé le médicament sur des bébés rats ayant manqué d’oxygène, ajoute-t-elle, et nous avons observé que le sildénafil permettait de diminuer la taille des dommages au cerveau, de diminuer l’inflammation et d’augmenter le nombre de neurones dans le cerveau des rongeurs. »

Les résultats de la chercheuse étaient tellement prometteurs que Santé Canada a approuvé que le médicament soit utilisé dans le cadre d’une étude clinique chez les  nouveau-nés asphyxiés à la naissance. L’équipe suit présentement trois bébés, dont Antoine, qui présentaient des lésions au cerveau au deuxième jour du traitement d’hypothermie. Ils ont reçu du Viagra ou un placebo selon un protocole randomisé, et ce, pendant sept jours. Ces bébés seront suivis jusqu’à l’âge de deux ans et devront passer des examens à un an et à deux ans. L’équipe planifie de recruter au total une trentaine de nouveau-nés pour mener la première partie de l’étude à terme.

« Nous continuons d’étudier plus en détail les mécanismes par lesquels le Viagra aide à réparer le cerveau. Nous devons conduire d’autres recherches pour nous assurer que ce traitement n’entraîne pas d’effets secondaires, afin de pouvoir élargir l’étude à des bébés à travers tout le Canada, et ensuite prouver son efficacité », dit la Dre Wintermark.

Et d’ajouter : « Le Viagra a l’avantage d’être un médicament peu dispendieux et facile à administrer. Si son efficacité est prouvée, il pourrait être utilisé à travers le monde. »

La chercheuse souligne le courage des parents qui, malgré la gravité de la situation, acceptent que leur nouveau-né participe à ce traitement expérimental, sans avoir l’assurance de résultats prometteurs à ce stade-ci de la recherche.

« Mon mari et moi sommes des scientifiques, deux chimistes, et nous sommes conscients de l’importance de la recherche clinique pour le développement de futurs traitements. Même si notre enfant se battait pour sa vie, nous avons décidé de le faire participer à cet essai clinique conduit par la Dre Pia Wintermark, dit Aleyda. Ce que nous vivons peut arriver à tout le monde et si cette recherche peut aider Antoine ou de futurs bébés dans la même situation, tant mieux. »

Une ressource incomparable pour les parents

L’équipe de recherche a créé un site Web appelé NeoBrainParents pour accompagner et informer les parents qui ont un bébé traité par hypothermie  : www. neobrainparents.org