L’épidémie de noyades au Québec

Quels que soient l’âge ou les compétences, personne n’est à l’abri d’une noyade. Chaque année au Canada, environ 60 enfants de 14 ans ou moins se noient et 140 autres sont hospitalisés en raison d’une quasi-noyade. Quarante noyades se sont déjà produites au Québec cette année, et l’été vient tout juste de commencer. Qu’est-ce que ça veut dire? Mais surtout, comment renverser cette tendance alarmante? En qualité de directrice de la traumatologie et de directrice du Système canadien hospitalier d’information et de recherche en prévention des traumatismes de L’Hôpital de Montréal pour enfants du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), je pense que la réponse repose sur Ia promotion d’un plus grand nombre d’initiatives conjointes pour prévenir les blessures liées à des traumatismes comme la noyade, et ce, le plus tôt possible.
 
J’appuie sans réserve la Loi sur la sécurité des piscines résidentielles du gouvernement du Québec, dévoilée en 2010. Cette loi inclut l’obligation d’entourer d’une enceinte les piscines construites après le 22 juillet 2010. Cependant, je ne comprends pas que l’ensemble des municipalités n’aient pas adopté des règlements exigeant des propriétaires de maison qu’ils entourent leur piscine d’une enceinte d’une hauteur d’au moins 1,20 m, dépourvue d’ouverture par le bas et dotée d’une porte à verrouillage automatique, et pas seulement si elle vient d’être installée. En effet, le risque de noyade est identique, que la piscine ait été construite avant ou après 2010.
 
Depuis 2008, cinq coroners qui ont enquêté sur des décès par noyade ont recommandé que le ministère de l’Éducation de la province déploie le programme Nager pour survivre afin de promouvoir les compétences de base en natation auprès des enfants d’âge scolaire. Deux de ces recommandations ont été formulées depuis un an, alors que sept enfants de cinq à 18 ans se sont noyés dans des rivières et des piscines du Québec. Ces derniers jours, le ministère de l’Éducation s’est engagé à implanter ce programme de sauvetage auprès des enfants de troisième année du Québec. Je salue ce projet et il va sans dire que je le soutiens, mais qu’en est-il des enfants qui ne se rendront jamais en troisième année?
 
D’après SécuriJeunes Canada, la majorité des décès par noyade se produisent chez des jeunes enfants de moins de cinq ans, et bon nombre d’entre eux ont lieu dans la piscine familiale. Un rapport préliminaire publié en 2010 par la Société de sauvetage au sujet des décès liés à l’eau révèle que l’an dernier, le nombre de noyades d’enfants de moins de cinq ans a augmenté de 60 % par rapport à l’année précédente. Les tout-petits sont curieux et impulsifs, et ils ne voient pas le potentiel de danger. Une chaude journée d’été autour de la piscine favorise le plaisir en famille, mais il est essentiel d’exercer une supervision vigilante de tous les instants, tout le monde devant avoir l’œil sur ce qui se passe dans l’eau. Un jeune enfant peut paniquer et se noyer rapidement. Ces dernières semaines, le Centre de traumatologie de L’Hôpital pour enfants de Montréal du CUSM a déjà traité plusieurs enfants de moins de cinq ans qui se sont noyés dans la pataugeoire, la piscine hors terre ou la piscine creusée d’une maison familiale. Le nouveau programme de natation n’aurait pas servi à grand-chose dans la prévention de ces incidents.
 
Selon l’Organisation mondiale de la santé, il faudrait élaborer des stratégies de prévention en vue de réduire les noyades et les blessures par quasi-noyade au moyen d’un ensemble d’initiatives d’éducation, de mesures environnementales, de modifications techniques et bien sûr, dans certains cas, de mise en vigueur de lois et de règlements. Les projets de prévention des blessures efficaces sont souvent le fruit d’initiatives conjointes et non exclusives. Bref, ces stratégies sont toutes nécessaires, et elles le sont maintenant!
 
Debbie Friedman B. Pht., M. Gest.
Directrice de traumatologie, L’Hôpital de Montréal pour enfants
Centre universitaire de santé McGill
Directrice, Système canadien hospitalier d’information et de recherche en prévention des traumatismes (L’HME)
Professeure adjointe, département de pédiatrie, faculté de médecine, Université McGill