Changer le visage de l'autisme

Pour les générations de Montréalais qui ont acclamé les Canadiens, le coin Sainte-Catherine et Atwater est un lieu d’histoire. Aujourd’hui, le même quartier est le site d’un nouveau type d’histoire grâce au tra-vail d’un chercheur de l’Hôpital de Montréal pour enfants du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Le Dr Éric Fombonne, ancien directeur du service de la pédopsychiatrie, trouve de nouvelles avenues dans la recherche qui réfutent le lien entre la vaccination des enfants et l’autisme. Ces découvertes font la une des journaux, mais elles sont le résultat de près de deux décennies du travail acharné du Dr Fombonne qui voulait, par sa recherche, aider à comprendre l’une des maladies infantiles les plus mystérieuses.


Jeune homme, Éric Fombonne entreprend des études postsecondaires sans avoir l’intention de devenir médecin. Ce Parisien à la voix douce et au sens de l’humour teinté d’ironie s’inscrit au programme d’ingénierie aux prestigieuses Grandes Écoles de France, mais il se rend vite compte qu’il n’aime pas ce domaine et choisit de faire médecine à la place. « Je cherchais plutôt la pertinence de mon travail d’un point de vue individuel, se rappelle-t-il. Je voulais avoir un impact sur les gens. »

 

Le Dr Fombonne, le premier à fréquenter l’université dans sa famille, trouve que l’école médicale « n’est pas un défi suffisant ». Il prend un poste d’assistant qui l’amène à superviser les analyses de données pour des essais médicaux. Il y développe des compétences en recherche qui poseront les jalons de son travail ultérieur. Il commence aussi à se concentrer sur la pédopsychiatrie parce que, dit-il, « Je souhaitais étudier comment le développement des enfants peut parfois laisser entrevoir leurs comportements adultes. Travailler avec les enfants n’est pas seulement intrigant et complexe, mais je trouve cela plus exigeant sur le plan intellectuel que de travailler exclusivement avec des adultes. »

 

Après un bref séjour aux Caraïbes dans l’armée française et une année de travail qui s’est avérée déterminante à l’Hôpital Sainte-Justine de Montréal, le Dr Fombonne retourne en France et reprend sa pratique en pédiatrie. Cependant, il s’énerve du manque de rigueur du système médical de son pays d’origine, comparativement aux pratiques fondées sur l’expérience clinique qu’il a découvertes en Amérique du Nord. Il décide de se concentrer sur la recherche. Éventuellement, il mène une étude épidémiologique révolutionnaire sur les troubles mentaux de l’enfant subventionnée par le célèbre Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Le Dr Fombonne était satisfait de l’étude parce que « ça me permettait d’être indépendant, dit-il. C’était une grosse opération pour un petit bonhomme comme moi qui travaillait seul et qui était l’un des premiers en France à prendre une approche scientifique au lieu de l’approche sociologique traditionnelle à la psychiatrie infantile. »

 

C’est au cours de cette période avec l’INSERM que le Dr Fombonne est devenu fasciné par l’autisme. Quand les associations familiales nationales défient le gouvernement français d’améliorer la qualité de vie des personnes autistes, le Dr Fombonne, réputé pour ses investigations rigoureuses, est appelé à contribution. Il développe un projet axé sur la recherche sur l’autisme et sur son traitement à plusieurs centres de santé et, vers la fin des années 1980, sa recherche clinique prend de l’ampleur et acquiert de la renommée.

 

Mais le Dr Fombonne est toujours insatisfait du modèle de recherche français et décide de déménager à nouveau, cette fois à Londres où il passe une année sabbatique travaillant avec Sir Michael Rutter, le fondateur de la pédopsychiatrie. Son expérience en Angleterre est tellement positive que le Dr Fombonne et sa famille traversent la Manche lorsque Sir Rutter lui offre un poste supérieur de recherche.

 

Le Dr Fombonne accepte de diriger l’équipe clinique nationale de Sir Rutter. En 1998, il devient encore plus occupé quand une étude publiée dans le Lancet par le Dr Andrew Wakefield, gastroentérologue, change les idées de tout le monde au sujet de l’autisme. L’étude affirme que le vaccin ROR (rougeole-oreillons-rubéole) augmente le risque d’autisme chez les enfants. Cette déclaration cause une grande surprise au Royaume-Uni et une équipe de scientifiques, incluant le Dr Fombonne, sont triés sur le volet pour étudier les conclusions.

 

Au sujet de son travail sur le cas, le Dr Fombonne explique : « Les études que j’ai publiées ont eu une forte incidence à l’échelle mondiale en ce qui a trait à la réfutation des affirmations contre le vaccin ROR. » Son travail le projette aussi dans une fièvre médiatique pour laquelle il était d’abord peu disposé à prendre part. « Mais je n’avais pas le choix, poursuit-il, parce que j’étais l’une des rares personnes capables de répondre aux questions scientifiques qui étaient au cœur de la controverse. Je ne pouvais tout simplement pas me réfugier dans ma tour d’ivoire et dire “Ça ne me concerne pas.” Le tournant décisif est venu quand j’ai réalisé que les affirmations au sujet du vaccin avaient changé le comportement des gens. Des enfants mouraient parce que moins de vaccins étaient donnés et les parents avaient oublié que la rougeole pouvait être mortelle. Il devint évident que la preuve scientifique devait être expliquée clairement pour résoudre ce débat. »

 

En pleine controverse, le Dr Fombonne reçoit un appel de l’Hôpital de Montréal pour enfants (l’HME) du Centre universitaire de santé McGill lui offrant une autre possibilité de changement de vie et de carrière majeur. Il est heureux à Londres, mais il a trois adolescents désireux d’étudier dans les universités américaines. Bien que ce soit une décision difficile à prendre, le Dr Fombonne réalise qu’il est temps d’essayer quelque chose de nouveau. Il est également impatient d’expérimenter la flexibilité et la cadence rapide du travail en Amérique du Nord.

 

À l’HME, le Dr Fombonne continue son travail pour établir l’absence de preuve de la relation causale entre la vaccination ROR et l’autisme et, en 2004, il publie dans le Lancet une étude qui réfute les affirmations du Dr Wakefield. Peu après, il est attiré dans une autre controverse entourant les affirmations d’un lien entre l’autisme et le thimerosal, un produit dérivé du mercure et utilisé pour stériliser les vaccins. Selon le Dr Fombonne, il n’y a aucun lien entre le thimerosal et l’autisme et il déclare publiquement que les taux plus élevés d’autisme sont le résultat d’une combinaison de facteurs, dont la reconnaissance améliorée des symptômes. Néanmoins, 5000 familles qui croient à l’existence d’un lien entre l’autisme et le thimerosal attendent une compensation de la part du gouvernement américain. D’après le Dr Fombonne, « c’est le conflit entre la science et la politique sociale. J’espère qu’une fois l’affaire réglée en cour les inquiétudes concernant les vaccins se dissiperont, mais cela pourrait prendre des années avant que la confiance du public soit restaurée. »


« Je pense que le nouveau CUSM reflétera une meilleure intégration de la recherche et des soins cliniques, qui mènera au genre de travaille interdisciplinaire que j'ai toujours parrainé. »

L’implication du Dr Fombonne dans de telles causes retenant l’attention du public est une partie importante de son travail, mais ses recherches cliniques et ses tâches d’enseignement ne passent jamais au second plan. À son arrivée à l’HME en 2001, il y a déjà une clinique d’autisme en place. Sous la direction du Dr Fombonne, elle devient la plus importante clinique d’autisme au Québec, où des centaines de nouveaux patients – de la naissance jusqu’à l’âge de 17 ans sont évalués chaque année.

Il établit également une petite clinique pour adultes qui est devenue une ressource pour les psychiatres des adultes qui rencontrent parfois des gens dans leur vingtaine dont l’autisme n’a jamais été diagnostiqué. « C’est l’approche de soins de toute une vie que nous avons au CUSM qui rend ce genre de travail possible », dit-il. Il signale cependant que son équipe est à court de personnel. « Nous travaillons dur, mais nous devrions avoir plus de soutien. Notre liste d’attente compte 420 patients et c’est beaucoup trop. »

 

Le Dr Fombonne est fier d’un programme d’entraînement aux habiletés sociales pour adolescents autistes qui fonctionnent bien. Il l’a lancé avec ses collègues et en a parlé dans un article publié récemment dans le Journal of Autism and Developmental Disorders. Depuis 2002, des groupes d’enfants viennent à la clinique après l’école et suivent un programme dans lequel ils acquièrent des habiletés interpersonnelles – conversation, relations sociales et comportement. Le Dr Fombonne sourit quand il pense à ces classes. « Les jeunes aiment ça. Ils se font des amis et maintiennent cette relation à la fin du programme. »

 

Le taux de réussite du programme est tellement impressionnant que le Dr Fombonne a eu l’idée de créer un camp d’été pour enfants autistes. Situé sur une ferme dans les Cantons de l’Est, il offre des sessions d’une semaine pour des groupes de six à huit enfants et leurs instructeurs. S’ils amassent suffisamment d’argent, le camp en sera à sa troisième année cet été. Pour le Dr Fombonne, cela change agréablement du travail clinique. « C’est touchant quand ces enfants ont la chance d’aller au camp, dit-il. Souvent, c’est leur première visite à la campagne et leur première nuit passée en dehors de chez eux. J’espère que le camp pourra continuer pour des années à venir. »

 

Le Dr Fombonne se fait une joie de poursuivre son travail à l’HME. Il envisage l’avenir avec beaucoup d’optimisme et croit que le projet de redéploiement permettra ce genre d’évolution positive qui a défini sa carrière. « Je pense que le nouveau CUSM reflétera une meilleure intégration de la recherche et des soins cliniques, qui mènera au genre de travail interdisciplinaire que j’ai toujours parrainé. Le chemin sera ardu, mais les résultats seront tellement gratifiants que nous n’aurons d’autre choix que de le suivre. »