Dépêches du Dr Sherif Emil en provenance du Rwanda : quand les hommes de bien ne font rien

Dépêche no 5 

« Il suffit que les hommes de bien ne fassent rien pour que le mal triomphe » - Edmund Burke

Pour la plupart des gens, la première chose qui leur vient à l’esprit quand ils entendent le mot Rwanda est le génocide. Aujourd’hui, après une grande tournée de l’hôpital qui nous a permis de revoir tous les patients, je suis allé visiter un lieu qui occupait mon esprit depuis que j’avais décidé de venir au Rwanda : le Mémorial du génocide de Kigali.

Pendant 100 jours à compter d’avril 1994, le Rwanda a été le théâtre d’une folie meurtrière aveugle. Quand ça s’est terminé, on comptait plus d’un million de Tutsis et de Hutus modérés tués, dont des milliers d’enfants, plus de deux millions de personnes déplacées et des centaines de milliers d’autres blessées, violées ou rendues orphelines. Le génocide était planifié et on pouvait le voir venir. Pourtant, les Nations unies et la communauté internationale ont choisi de détourner les yeux; en fait, elles ont laissé passer les occasions d’agir pour le prévenir. Le monde entier a été complice de meurtres.

Quand on marche aujourd’hui dans les rues de Kigali, on peut difficilement s’imaginer qu’il s’est écoulé moins de vingt ans depuis le génocide. Kigali ressemble à n’importe quelle autre ville africaine. En fait, elle est même un peu plus sécuritaire que la plupart. Les gens sont incroyablement aimables et accueillants. En 1994, le Rwanda est mort. Après avoir visité le mémorial, j’ai l’impression d’être dans un lieu ressuscité d’entre les morts, témoignage de pardon et de réconciliation.

Cependant, la normalité de Kigali me hante. Si un génocide a pu se produire ici parmi ces gens, il pourrait s’en produire un n’importe où.

Le Mémorial du génocide propose une section sur le contexte prégénocidaire qui prévalait dans le pays au début des années 1990. C’était un contexte public et ouvert de haine, de discrimination et d’incitation à la haine contre un groupe spécifique de gens, culminant très souvent par des massacres répétés. Malheureusement, ce contexte existe encore de nos jours dans de nombreux pays, et malheureusement, le monde détourne encore les yeux.

Il y a près de vingt ans, le mal a triomphé au Rwanda, parce qu’un grand nombre de gens de bien partout dans le monde n’ont rien fait. Si nous ne trouvons pas le courage et la volonté de dénoncer la discrimination et la haine partout où elles se manifestent, que ce soit à notre porte ou à l’autre bout du monde, le mal va triompher de nouveau.

Le Dr Sherif Emil est chirurgien pédiatre et directeur du département de chirurgie pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Son voyage au Rwanda fait partie du programme de McGill pour former les résidents en chirurgie de l’Université nationale du Rwanda et du Centre hospitalier universitaire Kigali.