Dépêches du navire-hôpital Africa Mercy no 4 : La puissance de la camaraderie

5 mars 2016, 22 h 30: Le seul geste dans une vie qui exige encore plus de confiance que de s’abandonner soi-même aux mains d’un chirurgien est celui de lui abandonner son enfant. Chaque fois que je prends un enfant à ses parents, que ce soit pour une intervention mineure ou une grave opération, je suis conscient de la terrible responsabilité que je prends et de la responsabilité de toute l’équipe de chirurgie. Nous tous qui travaillons au bloc opératoire – chirurgiens, infirmières et inhalothérapeutes – nous sommes engagés à faire de notre mieux pour être dignes de cette responsabilité. Toutefois, ça crée un certain climat de tension. Les émotions peuvent être vite exacerbées et la marge de tolérance est parfois bien mince. (Photo gauche : Affectation des salles d’opération sur l’Africa Mercy).

Le bloc opératoire de l’Africa Mercy ne ressemble à aucun autre bloc opératoire que j’ai connu. On comprend clairement que la chirurgie est au cœur de la mission de l’Africa Mercy – le cœur même de sa capacité à servir les personnes les plus démunies et oubliées de l’Afrique. Un fort sentiment de camaraderie habite chaque moment passé en salle d’opération et chaque acte qui y est posé. Ce n’est pas facile, car de nouveaux chirurgiens, de nouveaux anesthésiologistes et de nouvelles infirmières bénévoles arrivent et repartent chaque semaine. Le lundi commence par une réunion du personnel du bloc opératoire afin d’accueillir les nouveaux membres ; le vendredi commence de la même manière, cette fois pour dire adieu à ceux qui partent. Le mardi, avant d’entreprendre la journée, on réserve une demi-heure pour ceux qui souhaitent se rassembler afin de partager un moment de prière, de recueillement et de réflexion. Chaque matin avant d’amener le premier patient, nous nous regroupons pour passer en revue les patients de la journée et discuter d’éventuelles difficultés. (Photo droite : Réunion du personnel du bloc opératoire après un moment de recueillement et de réflexion). 

Garder ensemble la même équipe pendant toute une semaine sur le navire renforce la camaraderie. Mes trois infirmières cette semaine viennent des Pays-Bas, d’Allemagne et de Nouvelle-Zélande. Elles sont issues de cultures différentes, sont de langues maternelles différentes, mais, ensemble, elles arrivent à créer une formidable ambiance en salle d’opération, une ambiance marquée non seulement par la compétence, mais aussi par l’amour et la compassion qu’elles ont pour le patient et pour l’équipe. À la fin de ma première journée, j’avais l’impression de travailler avec elles depuis des années, comme si j’étais avec des amies. Ici, au bout du monde, sur un navire-hôpital, je me sens vraiment en terrain connu.

Vendredi, le dernier cas de ma semaine a été particulièrement difficile ; il s’agissait d’un préadolescent qui présentait une malformation lymphatico-veineuse, donnant l’impression qu’il avait une forte poitrine. Ça lui valait évidemment d’être rejeté et ridiculisé. J’ai travaillé avec une certaine appréhension, sachant que ce serait difficile et sanglant, et ça s’est déroulé exactement comme je l’avais prévu. Alors que je faisais le dernier point de suture, terminant l’opération avec succès, j’ai regardé ces infirmières qui avaient travaillé si fort, qui avaient sauté leurs repas et leurs pauses, et qui avaient été si totalement engagées pendant les moments les plus tendus de l’opération, et je les ai remerciées, simplement. Je les ai remerciées d’être ce qu’elles sont et d’avoir quitté le confort de leur foyer pour venir sur ce navire amarré au bout du monde et soigner des patients dont elles ne comprennent pas la langue ni ne partagent la culture, des patients pour qui il n’existait plus d’autres options. En une seule semaine, le personnel du bloc opératoire de l’Africa Mercy m’a enseigné bien des leçons, la plus importante étant la puissance de la camaraderie. (Photo gauche : Conciliabule de l’équipe de soins infirmiers et d’anesthésie du Dr Emil avant de commencer la journée). 

Le docteur Sherif Emil est chirurgien pédiatre et directeur de la division de chirurgie thoracique et de chirurgie générale pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Pendant 2 semaines, il fera partie de l’équipage bénévole de l’Africa Mercy, amarré en ce moment à Tamatave, Madagascar. L’Africa Mercy est le plus grand navire-hôpital civil au monde qui a pour mission d’apporter espoir et guérison aux dizaines de milliers de populations défavorisées dans le monde.

Lisez davantage : 

Dépêches du navire-hôpital Africa Mercy no 1 : Le bout de la terre

Dépêches du navire-hôpital Africa Mercy no 2 : Que demander de mieux ?

Dépêches du navire-hôpital Africa Mercy no 3 : Héros de l’Afrique

Dépêches du navire-hôpital Africa Mercy no 5 : Il faut un navire de l’espoir

Dépêches du navire-hôpital Africa Mercy no 6: Jane

Dépêches du navire-hôpital Africa Mercy no 7 : Concept de miséricorde (la dernière dépêche)