Engorgement à l'urgence : Pourquoi le temps d’attente est-il si long et le problème si complexe à régler?

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Au cours de la dernière année, l’urgence de L’Hôpital de Montréal pour enfants (L’HME) a été plus occupée que jamais. L’urgence dispose de suffisamment de médecins, d’infirmières et d’espace pour traiter convenablement 180 patients par jour. Mais, en moyenne, ce sont quelque 240 patients qui s’y présentent chaque jour, et ce, sept jours par semaine! Cela signifie que le personnel doit redoubler d’efforts jour et nuit pour s’assurer que tous les enfants reçoivent les soins dont ils ont besoin et qu’ils méritent.

Pourquoi tant d’enfants se présentent-ils à l’urgence? Pourquoi l’hôpital ne peut-il pas simplement embaucher plus de médecins et d’infirmières pour s’occuper du surplus de patients? Pourquoi les patients et les parents doivent-ils attendre aussi longtemps pour voir un médecin? Voilà des questions qui semblent simples et dont les réponses devraient être simples. Malheureusement, quand il s’agit de soins de santé, il n’y a jamais de réponses ou de solutions simples. 

Les questions et réponses suivantes paraphrasent une entrevue audio en deux parties avec Dr Harley Eisman, directeur du département d’urgence de L’HME. Il explique pourquoi notre urgence est si congestionnée et pourquoi les travailleurs de la santé n’arrivent pas à trouver de solutions.

Question. Pourquoi y a-t-il eu une telle hausse du nombre moyen de patients reçus chaque jour à l’urgence de L’HME?

Réponse. L’urgence de L’Hôpital de Montréal pour enfants compte suffisamment d’espace et de personnel pour prendre en charge un maximum de 180 patients par jour. Cependant, depuis novembre 2006, nous voyons continuellement plus de 200 patients par jour, la moyenne tournant autour de 240 patients par jour.

La hausse du nombre de patients qui se présentent à notre urgence est due à deux virus. D’abord, le virus respiratoire syncytial, principal agent des maladies respiratoires de la famille des bronchiolites, a affecté un grand nombre d’enfants qui avaient besoin de soins médicaux spécialisés. Puis, le virus de la gastroentérite a frappé et provoqué une éclosion de la maladie à laquelle nous avons dû faire face. Beaucoup de jeunes enfants ont été conduits à l’urgence pour être réhydratés et recevoir d’autres soins.

Q. Quand les enfants arrivent à l’urgence, comment décidez-vous de l’ordre de passage des patients?

R. Certains des parents qui se présentent à l’urgence sont frustrés parce que des enfants arrivés après eux sont vus plus rapidement que leur enfant. Je veux expliquer pourquoi cela arrive. L’urgence n’est pas une clinique sans rendez-vous. Nous ne traitons pas les patients sur la base du premier arrivé, premier servi, mais plutôt selon un système de triage. La première personne que le patient rencontre en arrivant à l’urgence est une infirmière qui l’évalue et le classe dans une catégorie de un à cinq, un indiquant que l’enfant est très gravement malade et a besoin de soins immédiats, et cinq, que le problème de santé peut attendre deux, trois heures, voire plus. Un mal de gorge, un doigt blessé et une coupure bénigne sont des exemples de problèmes de catégorie cinq. Les patients des catégories un, deux ou trois sont évidemment vus avant les patients des catégories quatre et cinq. Le fondement premier de l’urgence est de prodiguer des soins spécialisés aux patients qui en ont le plus besoin, soit ceux qui sont les plus malades. Alors, si vous allez à l’urgence pour un malaise mineur, vous devez être prêt à attendre.

Q. S’il ne s’agit pas d’une urgence, pourquoi les parents conduisent-ils leurs enfants à l’urgence pour recevoir des soins?

R. En 2005, L’HME a réalisé une étude avec l’hôpital Sainte-Justine. Nous avons constaté qu’en soirée (après 17 heures), la fin de semaine et les jours fériés, il y a très peu de services de santé, comme des cliniques, CLSC ou bureaux de médecins, qui sont ouverts. Il y a donc très peu de ressources vers lesquelles les parents peuvent se tourner pour faire soigner leur enfant qui a un petit problème médical. Bien sûr, certains parents ont la chance de pouvoir compter sur un médecin qui accepte de voir ses patients après les heures ouvrables, et certains hôpitaux communautaires acceptent de traiter des cas pédiatriques non urgents. Mais, ces services sont très rares. Nous demandons avec insistance aux parents d’utiliser leur bon jugement pour évaluer si le problème de santé de leur enfant requiert des soins immédiats. L’infection de l’oreille est un exemple de problème médical non urgent que nous voyons souvent à l’urgence. Quand votre enfant à mal aux oreilles, la première chose à faire, même s’il est une heure du matin, est de soulager la douleur. Vous pouvez lui donner un analgésique, comme l’ibuprofène, puis attendre au lendemain pour aller à une clinique sans rendez-vous ou au CLSC. Voilà le type de choix qui s’offrent aux parents.   

Nous tous qui travaillons à l’urgence de L’HME savons que des parents et des patients sont frustrés. Et comme nous savons que les autres options pour se faire soigner sont très peu nombreuses le soir, la fin de semaine et les jours fériés, nous comprenons que les patients viennent tous vers nous pour se faire soigner.

Q. Si le nombre de patients a augmenté, pourquoi ne pouvez-vous pas simplement embaucher plus de médecins et d’infirmières?

R. Les réponses sont assez compliquées, mais il y a deux raisons fondamentales qui expliquent pourquoi nous ne pouvons pas embaucher plus de médecins, d’infirmières et d’autres professionnels de l’urgence. En premier lieu, les professionnels de la santé spécialisés en pédiatrie sont difficiles à trouver. Les personnes qui travaillent dans un hôpital pour enfants doivent avoir une formation spéciale. Et, il y a simplement très peu de personnes disponibles. En deuxième lieu, même si nous arrivions à trouver une personne compétente pour travailler avec nous à l’urgence, le financement public ne nous permettrait pas de l’embaucher. Le gouvernement nous accorde un budget annuel pour assurer le fonctionnement de l’hôpital, et nous devons respecter ce budget. Il n’y a absolument pas d’argent disponible pour embaucher du personnel additionnel, comme des infirmières ou des inhalothérapeutes.

Maintenant, en ce qui concerne l’embauche de médecins additionnels, le gouvernement a imposé un plafond ou une limite au nombre de médecins qui peuvent travailler dans un centre universitaire de santé comme L’Hôpital de Montréal pour enfants. En fait, dans le cas des pédiatres qui travaillent à notre urgence, le gouvernement a décrété que nous ne pouvions plus embaucher de nouveaux médecins et, pire encore, que si l’un d’eux prend sa retraite ou quitte L’HME, nous ne pouvions même pas le remplacer.

Q. Si vous ne pouvez pas embaucher plus de professionnels de la santé malgré le nombre croissant de patients qui se présentent à l’urgence, que faites-vous pour raccourcir les temps d’attente pour les patients et les parents et pour alléger l’énorme charge de travail du personnel?

R. Notre priorité est de prodiguer des soins aux enfants qui en ont le plus besoin, soit les patients les plus malades. Et croyez-moi, les enfants qui sont vraiment malades sont vus et traités sur-le-champ! Les parents n’ont pas à s’inquiéter sur ce point. 

Cependant, nous avons commencé à mettre en œuvre de nouvelles stratégies pour voir les enfants moins gravement atteints, comme ceux qui ont une infection à l’oreille ou un mal de gorge. À titre expérimental, nous allons instaurer un type de système de traitement accéléré auquel sera affecté un médecin pour s’occuper rapidement de ces problèmes mineurs dans une section rapprochée, mais extérieure de l’urgence. Si ce système de traitement accéléré fonctionne, nous résoudrons alors le problème d’espace en plus de réduire le nombre de cas non urgents qui congestionnent l’urgence. Le mauvais côté à cela, c’est qu’un médecin de l’urgence devra être libéré pour faire ce travail.

Nous avons aussi essayé maintes et maintes fois de faire comprendre aux parents qu’ils doivent apprendre à soigner eux-mêmes des maladies ou malaises mineurs. C’est pour cela que nous travaillons à développer et à mettre à jour des documents de formation pour les parents. Nous espérons que cela permettra de réduire les temps d’attente à l’urgence. Nous essayons aussi de rétablir des liens avec les prestateurs de soins de la communauté affiliés à McGill et d’autres établissements. Si l’un de nos patients n’a pas de médecin de famille, nous le dirigerons vers l’un de nos partenaires au sein de la communauté pour les soins de suivi et pour que quelqu’un prenne son dossier médical en main.

Q. Que peut faire le gouvernement pour aider à réduire les temps d’attente pour les patients et la charge de travail pour le personnel?

R. De notre point de vue, à titre d’intervenants de première ligne, il est évident qu’il faut une entrée massive de ressources comme des ressources humaines et de l’argent. Il faut que nous puissions recruter des nouveaux médecins, infirmières, administrateurs et personnel de soutien pour pouvoir répondre aux besoins de la population. Mais, ces solutions s’appliquent à L’HME. Au-delà, toute l’infrastructure des soins de santé doit être revue. Nous devons rétablir les ressources communautaires et avoir accès à des cliniques qui restent ouvertes après les heures normales de service. C’est une question de ressources et d’argent.

Q. Que devraient faire les parents pour s’assurer que leurs enfants reçoivent les soins dont ils ont besoin sans devoir passer des heures à attendre dans une urgence bondée?

R. Je recommande aux parents de prendre le temps d’identifier certaines ressources médicales de confiance dans leur communauté. Il peut s’agir du CLSC, du bureau d’un médecin ou d’une clinique sans rendez-vous; retenez leurs heures d’ouverture et gardez leur numéro de téléphone à portée de main. L’autre élément consiste pour les parents à utiliser leur bon jugement pour déterminer ce qui est une véritable urgence, ce qui peut attendre et ce qui peut être soulagé avec un simple médicament contre la fièvre ou la douleur. Si la situation n’est pas urgente, ils peuvent attendre au lendemain pour se présenter au CLSC, chez le médecin ou dans une clinique sans rendez-vous.

Q. L’Hôpital de Montréal pour enfants planifie la construction d’un nouvel hôpital. Est-ce que ce nouvel hôpital permettra d’améliorer la situation qui prévaut à l’urgence de L’HME?

R. Oui, le nouvel hôpital fera une grosse différence. Le département d’urgence de l’hôpital actuel occupe environ le quart de la superficie dont il devrait disposer pour le nombre d’enfants soignés et le nombre de personnes qui y travaillent. Dans le nouvel hôpital, la superficie sera trois fois plus importante, ce qui améliorera énormément les soins que nous pourrons offrir aux patients et aux familles. Les salles de traitement seront plus privées, tandis que l’espace additionnel nous permettra d’améliorer et d’optimiser notre rendement. Mais, nous devons encore espérer que des fonds additionnels viendront s’ajouter à l’espace additionnel pour que nous puissions augmenter notre personnel.