À la douce mémoire de Sylvie Trudel (1966-2013)

Il y a un an ce mois-ci, le personnel infirmier du 6e étage de l’Hôpital de Montréal pour enfants perdait l’un de ses piliers après une brève, mais courageuse lutte contre le cancer. De l’avis de tous, elle était une femme exceptionnelle, et elle nous a quittés beaucoup trop tôt. Elle a formé des générations d’infirmières au cours des 19 années qu’elle a consacrées à cet hôpital. Sylvie Trudel était l’incarnation même de la compassion.

Elle m’a enseigné tout ce que je sais des soins à donner aux enfants malades – des techniques d’alimentation d’un bébé ayant une fissure palatine à la façon de tenir un nourrisson traumatisé. Elle savait manier l’humour, même quand vous ne pensiez pas que le rire était possible. Elle était extrêmement compétente, et pourtant incroyablement humble. La passion de Sylvie était contagieuse. Elle ne donnait pas de leçons, mais elle prêchait par l’exemple. Vous pouviez mettre votre âme à nu devant elle, et elle avait ce don incroyable de vous faire sentir que tout irait bien, que vous soyez le parent d’un patient qu’elle soignait, une collègue ou une infirmière stagiaire. À la fin, vous ne saviez plus si vous pleuriez ou si vous riiez. Elle avait coutume d’appeler chacun de ses petits patients « My love », mais elle aurait tout aussi bien pu s’adresser ainsi à n’importe laquelle d’entre nous. Ce n’est là qu’un mince aperçu de qui était Sylvie - elle vous donnait l’impression d’être important. Les enfants atteints du syndrome de Down avaient aussi une place bien spéciale dans son cœur « C’est de l’amour pur », disait-elle.

Les étreintes de Sylvie étaient sa marque de commerce. Chaque samedi matin quand j’arrivais à l’unité comme bénévole, elle déposait tout ce qu’elle avait dans les mains pour me serrer dans ses bras. Et c’était toute une étreinte! Puis, elle me demandait si je cherchais un « client » : un bébé qui avait besoin de se faire dorloter. Elle m’appelait « l’ange dépourvu d’ailes ». À l’occasion quand elle passait devant une chambre où, assise dans la chaise berceuse, je berçais doucement un bébé, elle pouvait empoigner la première personne qui passait et lui dire : « Tu vois comme elle a l’air heureuse? Le bébé aussi! »  Parfois, les mots étaient inutiles : le lendemain de la perte d’un jeune patient à l’unité, elle est venue vers moi alors que j’avais un bébé dans les bras, nous avons échangé un regard entendu, puis elle m’a simplement serré le bras.

Un jour, nous nous trouvions dans une salle de traitement bondée où plusieurs infirmières tentaient d’installer une ligne intraveineuse sur un tout petit bébé que j’essayais de le réconforter. Une infirmière qui se spécialisait en anesthésiologie est arrivée, a demandé un garrot, une aiguille papillon, une solution de sucrose (de l’eau sucrée utilisée pour apaiser les bébés) avant de dire : « tout le monde dehors »! Sylvie a répondu, « nous n’avons pas de solution de sucrose dans cette unité, mais nous avons Leonie » en me pointant du doigt. C’est probablement la plus belle chose que quelqu’un m’ait dite.

Sylvie a touché tant des gens et de tant de manières. Je m’attends encore à la voir franchir les portes de l’HME à tout moment dans son uniforme de Fraisinette! Parfois, je pense la voir, sauf que maintenant, elle travaille dans un autre hôpital ou alors elle court à travers le parc. J’ai été choyée d’avoir une personne aussi formidable pour me guider, et qui croyais en moi. Les infirmières de l’unité 6C qu’elle a formées sont remarquables, et elles me traitent chaque jour avec la même bienveillance. Pour tout cela, et pour tant d’autres raisons, j’ai une énorme dette de reconnaissance envers elle.

Au cours des dernières semaines de sa vie, alors qu’elle savait que l’inévitable approchait, Sylvie a tenu un journal de gratitude. Chaque jour, elle y a écrit une phrase, une raison qu’elle avait de se sentir reconnaissante. Se tenir ainsi dans le noir et malgré tout voir la lumière est une leçon de gratitude et de bienveillance pour nous tous.

Sylvie, tu me manques tant.

Leonie Mikael, Ph.D.

Août 2014