L’anorexie : l’écho d’un traumatisme

La clinique des troubles alimentaires de L’HME aide à libérer une jeune adolescente de son anorexie

Chaque dimanche, de l’âge de 9 ans jusqu’à 14 ans, Sara* a été agressée sexuellement par son grand-père. « Je cherchais toujours à effacer ce qui se passait », raconte-t-elle. « Et je pensais à quelque chose qui me rendait heureuse, comme jouer à la Barbie avec ma petite sœur. »

Après cinq ans de sévices sexuels, Sara a décidé qu’elle en avait assez de sa jeune vie chaotique qui était aussi bousillée par des parents instables et négligents. Assise au fond d’un placard fermé, elle a décidé qu’elle arrêtait de manger. En deux mois, elle est passée de 82 à 41 kilos.

« Chez la plupart des patients, l’anorexie est un trouble physiologique et psychologique très complexe », explique Sue Mylonopoulos, travailleuse sociale à la clinique des troubles alimentaires de L’Hôpital de Montréal pour enfants du CUSM. « L’étiologie d’un trouble alimentaire ne peut pas être généralisée ou simplifiée à un seul problème. Il s’agit d’une maladie complexe multicouche qui, pour certains, peut constituer un mécanisme d’adaptation mésadapté »

Quand Sara a finalement été conduite à l’urgence de L’HME, sa peau était presque grise, ses électrolytes étaient complètement déséquilibrés et sa pression sanguine était dangereusement basse. Les médecins lui ont dit que si elle avait attendu une journée de plus, elle aurait pu mourir d’un arrêt cardiaque.

« Quand Sara est arrivée à l’urgence, elle avait l’air d’une vieille femme émaciée de 80 ans », se rappelle la docteure Franziska Baltzer, directrice de la clinique des troubles alimentaires et du service de médecine de l’adolescence de L’HME. « Et elle n’avait que 14 ans. »

Quand une jeune personne qui souffre d’anorexie se présente à L’HME, le personnel prend une des trois mesures suivantes : hospitalisation immédiate en raison du danger de mort dû à des signes vitaux instables; suivi du patient à domicile; ou, après une consultation, prise d’un prochain rendez-vous dans une semaine ou deux.

« Si les parents et l’adolescent ou l’enfant sont d’accord, explique Dre Baltzer, nous entreprenons un long périple avec une équipe multidisciplinaire, qui inclut le suivi médical, la nutrition, les consultations psychiatriques, si nécessaire, et la thérapie individuelle et familiale (travail social, art-thérapie, psychologie, psychiatrie). Les médecins de la clinique des troubles alimentaires voient entre 80 et 100 nouveaux patients par année, et ils les suivent en moyenne durant trois ans. »

Pour Sue et Dre Baltzer, le succès à court terme se mesure par un engagement très ferme des parents et par la non-hospitalisation à répétition du patient. À long terme, le succès se mesure par la capacité du patient à reprendre le cours de son adolescence normale; l’amélioration des communications parents-enfant; une meilleure adaptation aux situations stressantes; et la capacité d’avoir une vie plus remplie qui n’est pas sous l’emprise de la minceur.

Sara a été hospitalisée dès son arrivée à L’HME. En raison des traumatismes qui ont parsemé sa vie, il lui a fallu beaucoup de thérapies et de consultations avant de pouvoir enfin surmonter son anorexie. À presque 18 ans maintenant, Sara est encore suivie, mais elle a aujourd’hui un poids santé, elle a commencé à sortir, elle a des projets positifs et concrets pour son avenir et elle vit au sein d’une famille élargie qui la soutient énormément. Elle attribue son rétablissement à l’équipe de la clinique des troubles alimentaires. Durant ses temps libres, elle se concentre sur sa passion : écrire des chansons. Dans l’une d’elles, elle dit aux victimes d’agressions sexuelles de l’exprimer, de le dire à quelqu’un pour être libérées de ces souffrances.

« C’est un tel privilège d’aider des gens qui cherchent à réaliser leur potentiel émotionnel et psychosocial, et de les aider à ne plus être otages de leur trouble alimentaire, ajoute Sue. Je crois en Sara, en ses progrès et en sa capacité à se rétablir. J’ai confiance de la voir guérir de ses blessures. »

*Afin de protéger l’identité de la patiente, son vrai nom n’a pas été utilisé.