Le visage d’une jeune fille est étiré par une technique chirurgicale novatrice

Une première au Québec pour les chirurgiens de L’HME

Par Lisa Dutton

Cynthia Maldonato a 11 ans. Elle adore chanter dans la chorale de son église, et sa matière favorite à l’école, c’est les mathématiques. Au lieu de porter jeans et sweat-shirt, la tenue classique des adolescents, Cynthia aime s’habiller avec plus d’élégance. Récemment, lors d’une visite préopératoire à L’Hôpital de Montréal pour enfants du Centre universitaire de santé McGill, elle portait une jupe, un chemisier, un veston et des escarpins noirs. Elle avait également un délicat sac à main.

Le père de Cynthia, Galby Maldonato, dit que sa fille est comme un aimant; les gens s’attroupent naturellement autour d’elle. Il met ça sur le compte de la gentillesse, de la douceur et de la belle âme de sa fille.

Bien que la majorité des gens soient gentils, amicaux et même protecteurs envers Cynthia, il s’en trouve toujours quelques-uns qui, à son insu ou non, font des remarques cruelles et blessantes au sujet de son apparence. Cynthia est née avec le syndrome de Crouzon, une maladie génétique rare qui entraîne la fusion prématurée des os du bébé. Le crâne de Cynthia est ainsi complètement difforme; comme les cavités orbitaires ne sont pas assez profondes, ses yeux sont bombés et coulent constamment, et elle ne peut pas les fermer complètement, même quand elle dort. Elle a de la difficulté à respirer par le nez et la bouche. En raison d’une sous-occlusion importante, elle a de la difficulté à manger, et il lui est même impossible de manger des aliments durs, comme une pomme. Parlant couramment le français et l’espagnol, Cynthia a aussi un problème de zézaiement prononcé.

« Son visage a la forme d’un bol », explique le chirurgien plasticien Mirko Gilardino, l’un des deux chirurgiens de l’équipe de soins de Cynthia. « Le milieu de son visage est très restrictif, il est presque complètement affaissé. »

Diagnostiquée du syndrome de Crouzon à la naissance, Cynthia a déjà subi quatre interventions chirurgicales, dont une destinée à avancer son front pour que son cerveau puisse se développer.

Le 25 janvier, Cynthia a subi une intervention chirurgicale inédite, la première du genre pratiquée au Québec. L’intervention, pratiquée par les Drs Jose Montes et Mirko Gilardino, permettra essentiellement d’étirer le milieu de son visage, ses orbites et son front jusqu’à 21 millimètres vers l’avant.

Durant cette délicate intervention de six heures, les chirurgiens ont détaché la peau de son visage après avoir fait une incision d’une oreille à l’autre. Le Dr Montes a ensuite utilisé une scie chirurgicale spéciale, doté d’un protecteur sur l’un des côtés afin de prévenir toute lésion au cerveau, pour retirer le front de Cynthia et exposer son cerveau. C’est à ce moment que le Dr Gilardino est entré en jeu pour continuer l’incision. Avec un ciseau chirurgical et un marteau, il a coupé l’os de chaque côté de son visage et en travers de la voûte du nez, rendant tout son visage mobile.

La deuxième étape consistait à ajuster sur le visage de Cynthia ce qu’on appelle un halo de distraction externe. Le dispositif de métal semi-circulaire a tout l’air de sortir d’un film de science-fiction. Il a été fixé sur les deux côtés de son visage à l’aide de vis, juste au dessus et derrière les oreilles. Le Dr Gilardino a aussi inséré quatre vis dans le visage de Cynthia, deux près de ses sourcils et deux de chaque côté de son nez. Des fils relient les vis au halo.

L’intervention s’est extrêmement bien déroulée, mais en raison de l’œdème attendu, on a maintenu Cynthia sous sédatif et respirateur à l’USIP durant 48 heures. Environ une semaine après l’intervention, le Dr Gilardino, avec l’aide des parents de Cynthia, a entamé le processus d’avancement du visage d’un millimètre par jour. Alors que les os blessés du visage commencent à se souder, les os et les tissus mous sont « étirés » avec le distracteur pour générer de nouveaux tissus. L’intervention est connue sous le nom de distraction monobloc.

« Croyez-le ou non, ses parents tournent les quatre vis du visage du Cynthia deux fois par jour, matin et soir », raconte le Dr Gilardino. « L’étirement ne fait vraiment pas mal, mais il tire son visage vers l’avant d’un demi-millimètre à la fois durant une période de trois semaines. » En fait, ça fonctionne un peu comme un appareil orthodontique sur les dents.

Au fur et à mesure que son visage s’étirera, ses yeux deviendront moins proéminents puisque les orbites s’enfonceront, et ses dents seront mieux alignées. « Je peux ajuster l’alignement du visage de Cynthia, en tirant les os du visage vers le haut, vers le bas, vers la gauche ou vers la droite. Je peux faire les ajustements au fur et à mesure », précise le Dr Gilardino. « C’est loin d’être parfait, mais c’est un bon mouvement graduel contrôlé. Durant la phase de distraction (phase d’étirement), je me concentre vraiment sur ses yeux; si je pousse trop loin, elle va se retrouver avec de petits yeux de fouine. Et je veux m’assurer que cela n’arrive pas. »  

En fait, le Dr Gilardino prévoit étirer un peu plus le visage de Cynthia, tenant compte de la croissance de Cynthia qui se poursuit. Ainsi, elle grandira dans son nouveau visage.

Lorsque la période d’étirement sera terminée, Cynthia continuera de porter le halo durant environ deux mois, le temps que ses os se soudent et durcissent. Après cela, une simple intervention suffira pour retirer le halo et les vis. Cynthia aura peut-être besoin d’une autre petite intervention un peu plus tard pour ajuster son articulé dentaire.

Le Dr Gilardino est le directeur de l’équipe de chirurgie cranio-faciale et des fentes de L’HME. Il est arrivé à L’HME en 2008 en même temps que la Dre Broula Jamal, l’orthodontiste de l’équipe spécialisée en chirurgie craniofaciale. Cynthia est la première patiente de L’HME – et la première au Québec – à être opérée selon cette nouvelle technique de « distraction monobloc ». Cette nouvelle technique présente des avantages importants sur le plan des infections postopératoires. L’approche classique utilisée pour avancer le visage d’un patient comporte près de 50 pour cent de risque. Avec cette nouvelle intervention, le risque d’infection est pratiquement nul. Le Dr Gilardino estime qu’il peut faire jusqu’à quatre interventions de ce type par année.

Dans une entrevue accordée avant l’intervention chirurgicale à Charlie Fidelman, journaliste de The Gazette, Cynthia a confié être très impatiente de subir son intervention, parce qu’elle voulait que ses yeux aient l’air normaux et que ses dents soient mieux alignées. Et elle veut ressembler à son frère et sa sœur. Elle a aussi avoué au journaliste être très enthousiasmée par l’intervention, parce qu’elle veut bien paraître pour son 15e anniversaire, la Quinceañera, une fête importante dans la vie d’une adolescente.