TROP de prévention et PAS assez de risques - Quelle farce!

À L’Hôpital de Montréal pour enfants, désigné centre de traumatologie, nous devons sans cesse trouver des façons efficaces de faire comprendre aux gens qu’il est important de trouver un juste équilibre entre activités, plaisir et sécurité. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, il faut développer des stratégies de prévention qui concilient éducation, mesures environnementales et, dans certains cas, application de la loi. Mais imposer des lois à n’en plus finir n’est pas toujours la stratégie la mieux reçue et la plus efficace. En même temps, il ne faut pas que le message fondamental de prévention des blessures empêche nos jeunes de bouger et en fasse une génération de téléphages trop bien en chair.

 

Voilà pourquoi le programme de traumatologie et de prévention de L’HME privilégie le message suivant : « Activez-vous et jouez, mais informez-vous et jouez en toute sécurité ». Dans les campagnes de sensibilisation du public, les documents éducatifs que nous produisons ou les nombreuses entrevues que nous accordons aux médias, notre objectif est toujours de nous adresser aux enfants, adolescents, parents, entraîneurs, enseignants, municipalités et autres intervenants pour les informer des risques potentiels, leur faire connaître les recommandations et les inciter à faire des choix sensés.

Il n’y a rien de plus tragique que de se tenir au chevet d’un enfant mourant ou rendu invalide à la suite d’une blessure traumatique évitable, aux côtés de la famille rongée par la culpabilité, vous disant « n’avoir jamais pensé ou pris conscience des risques potentiels ». L’effet dévastateur des blessures traumatiques se répercute sur toute la famille. Comme spécialistes des soins de traumatologie, nous sommes aux premières lignes pour voir les résultats de l’ignorance, du manque de jugement, de l’attribution limitée des ressources gouvernementales et, bien sûr, du sentiment immature d’invincibilité.
 
C’est décourageant d’entendre des gens dire qu’on ne permet pas aux enfants en développement de prendre suffisamment de risques, et que leur environnement est devenu trop sécuritaire. Si vous cherchez le terme « accident » dans le dictionnaire, vous verrez qu’on le définit comme « un événement fortuit, imprévisible ». Dans les faits, la plupart des blessures traumatiques ne sont pas des « accidents », puisqu’au moins 90 % d’entre elles sont évitables. 

Pour parler franchement, il semble irresponsable d’ignorer commodément le fait que le traumatisme est la principale cause de décès et d’invalidité chez les enfants et les adolescents. 

C’est seulement quand un accident est évité de justesse que plusieurs sceptiques réalisent toute l’importance d’utiliser une ceinture de sécurité, de porter un casque approprié au sport, de ne pas acheter de trampoline pour la cour, de maintenir l’interdiction des marchettes ou d’installer une clôture avec porte verrouillée autour de la piscine. Malheureusement, quand il est question de traumatisme, tous n’ont pas une deuxième chance de faire un choix intelligent!  

Comme centre de traumatologie, il nous a été donné de voir :
  • un bébé gravement brûlé alors qu’il se trouvait dans une marchette à roulettes;
  • un petit de 5 ans souffrant d’un grave traumatisme crânien après être tombé d’un lit superposé;
  • le visage de plus de 80 % des participants aux cliniques de vérification des sièges d’auto pour enfants qui découvrent que le siège de leur enfant est mal installé;
  • un adolescent qui, à la suite d’une séance de trampoline dans la cour, a subi une fracture de la colonne vertébrale, à 2 mm près de devenir paraplégique;
  • un bébé mort dans une collision parce qu’il se trouvait dans les bras de sa mère plutôt que dans un siège pour bébé; 
  • des enfants passant directement de la piste de toboggan à la salle de réanimation avec un traumatisme crânien potentiellement mortel, une fracture aux jambes ou un traumatisme abdominal à la suite d’une collision à pleine vitesse avec un obstacle dans une zone où l’activité de glisse n’aurait pas dû être autorisée;
  • un garçon de 10 ans gravement blessé à un œil à la suite d’un coup reçu lors d’une partie de paintball organisée pour l'anniversaire d’un ami, ayant causé des déficiences visuelles importantes. 

Je pourrais continuer ainsi longtemps!

L’idée, c’est que toutes ces blessures et plusieurs autres traumatismes que nous voyons régulièrement auraient pu être évités. Cela ne devrait pas prendre des centaines, voire des milliers de cas pour identifier les risques inhérents. Il est important de trouver des façons intelligentes de régler ces problèmes tout en veillant à ce que les enfants ne soient pas privés du plaisir d’une enfance saine et active. Les données sur les blessures ne sont pas destinées qu’à faire les manchettes; derrière chaque statistique, il y a un enfant et une famille qui partagent des espoirs, des rêves et un avenir. Par ailleurs, tous les traumatismes graves ne se concluent pas par un décès. En fait, avec les excellents soins qui existent aujourd’hui en traumatologie, plusieurs blessés graves survivent, mais doivent vivre avec des incapacités permanentes et ont besoin de coûteuses interventions à long terme.  

Soyons clairs; le département de santé publique n’attend pas qu’il y ait 1 000 cas de méningite pour mettre en place un programme de vaccination. Il est temps que les blessures traumatiques évitables soient prises au sérieux et cessent d’être considérées simplement comme de malheureux « accidents ». La sensibilisation, l’éducation, les modifications à apporter à l’environnement, les ressources et même la législation, dans certains cas, sont importantes.

Debbie Friedman
Directrice
Programme de traumatologie et de prévention
L’Hôpital de Montréal pour enfants
Centre universitaire de santé McGill