Un pas à la fois

Un jeune garçon réapprend à marcher et à parler après un choc ayant causé un hématome

En mai 2017, Victor Léveillé a enfin été autorisé à rester seul à la maison après l’école. Comme tout jeune garçon, il était tout excité quand il a vu ses amis jouer dehors et il s’est précipité pour les rejoindre, mais il a trébuché sur son sac d’école, et sa tête a heurté un mur. Quand ses parents Isabelle Chamberland et Hugo Léveillé sont rentrés à la maison peu après, Victor était assis sur le divan avec de la glace sur la tête. « Il avait l’air correct et n’avait qu’un léger mal à la tête », se rappelle Isabelle; et moins d’une heure après, il était dehors à jouer avec sa sœur Laura.

Chaque seconde compte

Mais à 22 h, comme Victor avait encore mal à la tête, Isabelle a décidé de le conduire à l’urgence près de chez eux. « Nous pensions qu’il avait une légère commotion », dit-elle. Après avoir été examiné par une infirmière au triage, Victor a été renvoyé à la maison parce qu’il ne montrait aucun signe de traumatisme crânien; mais quelques heures plus tard, ils étaient de retour à l’hôpital. Victor avait commencé à vomir. « À ce moment, ils ont décidé de faire une tomodensitométrie, et ce qu’ils ont découvert était horrible », se rappelle sa mère. Un vaisseau sanguin s’était rompu lors de sa chute, et du sang s’accumulait entre la dure-mère, la membrane extérieure robuste qui recouvre le cerveau, et son crâne. Victor souffrait d’un hématome épidural.

On repère souvent un hématome épidural par la perte de connaissance qui suit un accident, suivi d’une période de vigilance. L’hématome peut mettre de la pression sur le cerveau et entraîner son gonflement et son déplacement. « Jamais en cent ans on n’a pensé que son cerveau se remplissait de sang, raconte Isabelle. Il avait juste une petite bosse sur le côté gauche de la tête. » L’hôpital a immédiatement contacté l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME) et préparé Victor pour son transport. Il a été intubé et plongé dans un coma artificiel. « Tout semblait tellement irréel. Je ne savais même pas si je reverrais un jour mon fils », dit-elle.

À l’HME, c’est le Dr Sasha Dubrovsky, urgentologue, qui a reçu l’appel et mobilisé l’équipe de traumatologie. « Chaque seconde compte quand il s’agit du cerveau, alors on savait qu’il nous fallait travailler vite », dit-il. Ce soir-là, le Dr Brett Burstein était le chef d’équipe de traumatologie. Quand on a appelé le « 10/10 » — un code utilisé pour identifier les plus graves cas de trauma — le Dr Burstein s’est aussitôt mis au travail, coordonnant l’équipe de soins infirmiers et s’assurant que le bloc opératoire pouvait faire venir le Dr Jean-Pierre Farmer, neurochirurgien, sur place le plus vite possible. Mais pendant le transport de Victor, la situation s’est détériorée. « Il est passé d’enfant malade à patient totalement instable », rapporte le Dr Burstein. 

L’une des pupilles de Victor était « en pleins phares », un terme utilisé quand la pupille d’une personne devient très dilatée et aréactive à la lumière; c’est un signe qu’il faut opérer immédiatement. « Le sang de Victor poussait son cerveau vers le bas, dans son cou, faisant littéralement suffoquer son cerveau », explique le Dr Dubrovsky. Quand Victor est arrivé à l’HME, il était à 10 ou 15 minutes de mourir. « Chaque minute d’attente additionnelle aurait provoqué de plus en plus de dommages au cerveau », dit-il. Dès son arrivée, l’équipe lui a rapidement administré des médicaments pour diminuer l’enflure au cerveau, et il a été transporté aussitôt en salle d’opération. « Si le département d’urgence n’avait pas été aussi bien préparé, mon fils ne serait pas ici aujourd’hui », souligne Isabelle.

Réapprendre à marcher, à parler et à manger

Une fois en salle d’opération, le Dr Farmer a dû pratiquer une craniotomie d’urgence sur Victor. « Avec ce type d’opération, le facteur temps est crucial, en particulier parce que ses deux pupilles étaient alors dilatées », dit-il. L’équipe du Dr Farmer a rapidement retiré une partie du crâne de Victor pour soulager la pression sur son cerveau, et pour repérer le saignement des vaisseaux sanguins. Il a ensuite fait une échographie pour s’assurer que les structures les plus profondes n’étaient pas atteintes. « Après l’opération, nous avons examiné ses yeux, et nous avons vu que les nerfs n’étaient pas endommagés, parce que ses pupilles n’étaient plus dilatées, ajoute-t-il. Mais il a fallu plusieurs jours pour que le cerveau retourne à sa position normale. »

Après son opération, Victor a été dans le coma pendant 10 jours, mais quand il s’est enfin réveillé, il ne pouvait bouger qu’un œil. « Il a appris à communiquer avec ses yeux en ouvrant et en fermant les yeux pour dire oui et non », raconte sa mère. Puis, il a commencé à bouger un peu plus chaque jour. Il a passé 17 jours à l’unité de soins intensifs pédiatriques (USIP) de l’HME, et quand il a quitté l’hôpital, il pouvait dire oui et non, faire différents bruits et sourire. Pendant les quelques mois qui ont suivi, il a vécu au Centre de réadaptation Marie Enfant où il a suivi un programme de réadaptation intense. Victor a dû réapprendre à marcher, à parler et à se nourrir.

Une étape importante a été franchie en juin quand il s’est réveillé un matin capable de parler. « C’est le plus beau coup de fil que j’ai jamais reçu, raconte Isabelle. Il est passé de quelques sons grommelés à des phrases complètes du jour au lendemain. » Les médecins lui ont expliqué que le cerveau de Victor n’était plus enflé et qu’il avait récupéré sa faculté à parler. « Les neurones à l’origine de la parole étaient assommés, mais pas morts », explique le Dr Farmer. Puis, Victor a commencé à manger et à boire seul, mais c’était un processus plus difficile parce que ses parents devaient le surveiller de près pour s’assurer qu’il ne s’étouffe pas. Malgré tout ce qu’il a vécu, Victor est resté patient et déterminé à aller mieux.

Faire face à la spasticité

La spasticité des membres supérieurs et inférieurs est un autre effet de la lésion cérébrale de Victor qui lui a posé des difficultés après l’accident. La spasticité provoque une crispation incontrôlée des muscles en raison de signaux perturbés du cerveau. Les muscles se contractent et n’arrivent plus à se détendre ou à s’étirer correctement, rendant la marche difficile. Dans le cas de Victor, il est arrivé à surmonter la spasticité dans ses mains et a pu recommencer à écrire, mais il avait encore du mal à marcher.

Pour l’aider, du Botox a était injecté dans les muscles de ses jambes, un traitement connu pour soulager la raideur musculaire chez les personnes qui souffrent de spasticité des membres supérieurs et inférieurs. « Ça semblait prometteur au début, mais ça a cessé de fonctionner après quelques essais », raconte sa mère. L’étape suivante était l’implantation chirurgicale d’une pompe à baclofène, une pompe programmable et un cathéter utilisés pour aider les gens qui ont de graves problèmes de spasticité en envoyant un médicament, appelé baclofène, directement dans la moelle épinière. « Nous sommes le seul hôpital pédiatrique au Québec à faire l’implantation de ce type de pompe, explique le Dr Farmer. C’est important pour nous non seulement de sauver des vies, mais aussi d’améliorer la qualité de vie des enfants. »

La pompe à baclofène doit être remplie tous les cinq mois, et le dosage tout comme le débit peuvent facilement être reprogrammés à chaque visite à l’hôpital. « Victor portera vraisemblablement cette pompe toute sa vie, dit sa mère. Au début, ça le contrariait, mais je lui ai dit que si cet accident lui était arrivé il y a 30 ans, il ne serait probablement pas là aujourd’hui. Et qui sait quel type de technologie nous aurons dans 30 ans d’ici? »

Le 19 avril, le Dr Farmer a procédé à l’implantation de la pompe de Victor à l’HME; sa famille a aussitôt remarqué de grands changements. « La plupart du temps, il arrive à marcher avec un déambulateur ou des béquilles, rapporte Isabelle, même s’il lui faut parfois utiliser un fauteuil roulant à cause de la tendinite à son genou ou de la fatigue. L’énergie qu’il lui faut pour faire un pas équivaut à l’énergie que nous déployons pour en faire 15. » L’objectif de Victor est de pouvoir marcher sans aide d’ici l’an prochain, et il aimerait pouvoir rejouer au soccer. « Il a de toute évidence le potentiel de remarcher, dit le Dr Farmer. Un jeune garçon comme Victor a toute la vie devant lui. Plus nous pourrons le rendre indépendant, mieux ce sera. »

Le Dr Burstein trouve son rétablissement remarquable. « C’est un testament pour toutes les personnes qui ont participé à ses soins; de ses parents qui ont pu voir que quelque chose n’allait pas, aux équipes d’urgence et de traumatologie, en passant par les chirurgiens, les anesthésiologistes, les intensivistes, les infirmières, les physiatres et les physiothérapeutes, et évidemment Victor lui-même », dit-il.

Étonnamment, Victor n’a perdu aucune de ses facultés cognitives, et il devrait terminer ses études primaires cette année. Les membres de sa famille savent à quel point ils ont de la chance de l’avoir vivant et en santé. « C’est difficile de ne pas le voir courir dans la rue avec ses amis, mais au moins nous l’avons encore avec nous, dit sa mère. Nous escaladons une montagne, chacun de nous, un jour à la fois. »