Un rêve qui a mal tourné

Il y a un temps, le Québec était “fou de ses enfants”. Cette province était reconnue pour ses politiques novatrices qui apportaient soutien et force aux familles: accès universel aux services de garde, congé parental, et programmes communautaires axés sur le développement des jeunes enfants.  Le Ministère de la santé a investi dans la formation d’un nombre suffisant de pédiatres pour traiter les nourrissons, les enfants et les adolescents, ainsi que dans le soutien aux Centres d’excellence dans nos deux hôpitaux pédiatriques indépendants de renommé internationale, l’Hôpital de Montréal pour enfants et l’Hôpital Sainte-Justine.  Il y avait même de la coopération aux niveaux fédéral, provincial et territorial  pour étudier des plans détaillés dans le but de soigner, d’éduquer et de développer notre plus grande ressource : nos enfants.

Le rêve a mal tourné.  Le gouvernement a tourné le dos aux déclarations de personnes comme James Heckman, un lauréat du Prix Nobel en Économie, qui dit, tel que rapporté par Peter Hadekel dans le journal The Gazette (« Une société en santé peut rapporter beaucoup » - 15 juin 2007), que l’investissement dans le développement des jeunes enfants (incluant la santé physique, la santé socioémotionnelle et l’éducation) donne un rendement entre 17 et 20 pour cent pour chaque dollar investi.  Dans le domaine de la santé, le nombre de pédiatres en formation a diminué radicalement de 15 par année dans les années 1970, à 5 par année à l’Hôpital de Montréal pour enfants.  Cela signifie que les départements académiques dans toutes les universités du Québec ne peuvent pas combler leurs postes d’enseignement, et, plus important encore, leurs postes de service clinique, créant ainsi une énorme tension auprès des cliniciens en exercice qui désirent encore offrir des soins de haute qualité.  Les parents ne sont pas au courant de cette décision claire du gouvernement de réduire les services cliniques pour enfants en limitant le nombre de médecins.  Par conséquent, les pédiatres de la communauté, étant  surchargés et surmenés, refusent quotidiennement 10 familles qui cherchent désespérément  quelqu’un pour s’occuper de leurs nouveaux-nés.  Le gouvernement répond que les omnipraticiens combleront ces besoins, mais le tiers de la population de Montréal ne peut pas trouver de médecin de famille.  Le Département de santé publique du Québec ne peut pas tenir ses engagements quant à ses programmes de vaccination sans la participation des médecins de la communauté; il n’y a pas suffisamment d’infirmières ou d’infirmiers.  Tel qu’écrit récemment dans un article du journal The Gazette intitulé « Franc jeu pour les médecins » (16 juin 2007),  les résidents en médecine et en chirurgie du Québec savent qu’ils ne sont pas appréciés, ils savent que leurs revenus sont inférieurs de 40% par rapport au reste du Canada, et ils ne sont pas libres de choisir où ils pratiqueront lorsqu’ils auront complété leur formation.  On refuse un grand nombre d’étudiants en médecine qualifiés qui désirent compléter une formation en Pédiatrie et ces derniers vont ailleurs en Amérique du Nord.  Présentement, si un pédiatre prend sa retraite ou quitte un hôpital d’enseignement, il ou elle ne peut pas être remplacé.   On ne donne pas de temps aux médecins de famille pour la formation relative aux soins à offrir au nombre grandissant de nourrissons et d’enfants ayant des besoins complexes en santé physique et mentale.  Le gouvernement n’a pas encouragé le développement de partenariats entre le petit nombre de pédiatres restants et les médecins de famille, un moyen d’assurer la qualité des soins et une meilleure offre de services.  Dre Thérèse Côté-Boileau, présidente de l’association des pédiatres du Québec, a émit une magnifique vision de la collaboration qui pourrait s’établir entre les pédiatres et les médecins de famille, mais le gouvernement n’écoute pas.

Tel que récemment écrit dans le journal La Presse par nos collègues de l’Hôpital Sainte-Justine, il y a des milliers d’enfants ayant des retards en développement sur des listes d’attente de plus d’un an pour recevoir des thérapies d’intervention intensive comportementale (IIB), des services en orthophonie et en ergothérapie.  Mais les politiques provinciales pour améliorer l’accès visent uniquement les services aux adultes (remplacement de la hanche ou du genou, chirurgie de la cataracte, traitement du cancer).  Malgré leur grande utilité, ces politiques résultent également en une réduction de l’attention et du financement pour les services grandement requis décrits ci-haut.  Le gouvernement, mais, nous l’espérons, pas notre société québécoise, semble avoir choisi d’accepter une qualité différente de soins pour les enfants; il est prêt à vivre avec un niveau inacceptable de morbidité pour les enfants.

On a l’impression que les bureaucrates du Québec sont plus intéressés à restructurer (Réseaux universitaires et CSSS) et à bâtir des héritages personnels qu’à répondre aux besoins de la population, autant celle des grandes villes qu’en périphérie.  Les politiques sont contradictoires.  Le gouvernement dit qu’il veut améliorer l’accès aux soins mais, simultanément, des décisions sont prises pour réduire les effectifs médicaux essentiels.  Toutefois, on peut encore raviver le rêve.  Si le gouvernement porte vraiment attention aux besoins des parents, des enfants et des jeunes, des experts en psychologie du développement  et en développement de l’enfant, et aux cliniciens de la communauté et académiques, il y a peut-être encore de l’espoir.