Une bouchée à la fois!

Un bambin apprend à manger par la bouche après des années d’alimentation par tube

Dante a passé les 292 premiers jours de sa vie à l’hôpital. Il est venu au monde beaucoup plus tôt que prévu; sa mère Mariarosa était enceinte depuis moins de 6 mois quand il est né, et contre toute attente, il a survécu.

Surmonter de nombreux obstacles

À six semaines, Dante a développé une entérocolite nécrosante (ECN), une maladie courante chez les prématurés qui entraîne l’ulcération ou la mort des tissus de l’intestin, et cause une inflammation. Dante a été transféré de l’Hôpital général juif à l’unité de soins intensifs néonatals (USIN) de l’Hôpital de Montréal pour enfants (HME).

Après un mois et demi, les médecins ont décelé un rétrécissement dans les intestins de Dante. Ils ont décidé d’opérer pour en retirer le tissu endommagé. Mais deux jours plus tard, il y avait encore des tissus nécrosés, et il a fallu le réopérer deux fois pour réparer et rattacher le petit et le gros intestin. « Après ces opérations, Dante s’est retrouvé avec un intestin plus court, explique Mariarosa. À ce stade, il était nourri presque exclusivement par intraveineuse, et il était sous étroite surveillance pour s’assurer que son estomac allait bien et qu’il digérait correctement la nourriture. »

Par la suite, on a inséré un tube naso-gastrique (tube NG) dans son nez jusqu’à son estomac, et on a commencé à l’alimenter par gavage 21 heures par jour; mais il ne pouvait tolérer que 21 millilitres de préparation à l’heure. « Les médecins ne comprenaient pas pourquoi il n’arrivait pas à prendre plus de liquide, alors nous avons décidé d’y aller d’une autre opération. Les chirurgiens ont passé en revue son intestin, et ont décidé de retirer le tube NG pour le remplacer par un tube de gastrostomie (tube G), explique Mariarosa. Mon mari Michael et moi étions réticents à propos du tube G, parce que ça semblait plus permanent; mais en fin de compte, c’était la bonne décision. »

La principale différence entre les deux tubes, c’est que le tube G apporte la nourriture directement dans l’estomac. Ça voulait aussi dire que Mariarosa et Michael se rapprochaient un peu plus de leur but : ramener Dante à la maison. Et c’est le 21 juin 2016 que leur rêve s’est réalisé. « Ç’a été une journée excessivement émouvante pour nous. Nous ne pensions pas que notre fils survivrait, et voilà que nous le ramenions à la maison », se rappelle sa mère. Mais Dante avait encore bien des obstacles à surmonter. 

Apprendre à manger

La Clinique de suivi néonatal de l’HME a commencé à suivre Dante, qui était vu chaque semaine par la gastroentérologue pédiatrique, Dre Ana Sant’Anna, et la nutritionniste, Marie-Josée Trempe. Comme Dante avait été nourri par gavage toute sa vie, il n’avait pas développé les aptitudes nécessaires pour manger, et il dépendait de son tube G. « Nous ne voulions pas que cette solution soit permanente, et nous avions hâte qu’il lui soit retiré », raconte Mariarosa.

On les a dirigés vers la Dre Maria Ramsay, directrice du programme d’alimentation pédiatrique de l’HME. Ce programme, dont la population de patients a doublé au cours des 5 dernières années, utilise une approche multidisciplinaire pour évaluer et traiter les enfants qui présentent différents problèmes d’alimentation, et en particulier ceux qui dépendent d’un tube d’alimentation.

« Quand on a rencontré la Dre Ramsay, elle nous a expliqué qu’il était trop tôt pour retirer le tube G, et qu’il y avait encore plusieurs étapes avant d’entreprendre ce processus », rapporte Mariarosa. L’une de ces étapes était que Dante soit capable d’ingérer des aliments en purée et de boire des liquides sans problème. « Avant de commencer à sevrer un enfant de l’alimentation par gavage, j’évalue s’il y est prêt ou non sur le plan médical et psychologique », explique la Dre Ramsay. « Il était clair que Dante n’était pas encore prêt. »

Puis, le 31 mai 2017, Dante a fait un énorme pas en avant. L’ergothérapeute Christine Labelle travaillait avec Dante pour développer ses aptitudes à manger, et elle a réussi à lui faire avaler un peu de nourriture. « Elle s’est précipitée dans mon bureau avec un grand sourire aux lèvres, se rappelle la Dre Ramsay. Nous étions toutes les deux tellement contentes, parce que nous savions qu’il était médicalement prêt, et ça, c’est l’élément le plus important du processus. »

Essais et erreurs

En premier lieu, il fallait cesser d’alimenter Dante en continu. « Nous avons commencé à lui donner trois repas en bolus pendant la journée », explique Mariarosa. L’alimentation en bolus est une méthode utilisée pour administrer la préparation à l’aide d’une seringue ou d’une pompe dans le tube d’alimentation. « Nous devions l’habituer à manger trois repas par jour, comme nous », poursuit-elle.

Leur fils s’est vu prescrire un médicament pour stimuler son appétit. « Il est important d’administrer le médicament par cycle. Pour Dante, c’était cinq jours avec le médicament, et deux jours sans, parce qu’on ne veut pas que le corps s’habitue au médicament et que ce dernier perde de son efficacité », explique la Dre Ramsay.

On a aussi commencé à exposer Dante à différents types de textures et d’odeurs. « Nous avons essayé de lui faire lécher des morceaux de pomme, de poire, de lui faire goûter à des choses comme de la compote de pomme. Au début, il n’aimait rien, jusqu’à ce qu’il goûte au bacon! C’était la première fois qu’il léchait un aliment et qu’il souriait », dit-elle. On a alors demandé à la famille de Dante de passer de trois à deux bolus pour tenter de lui faire manger de vrais aliments. Mais après deux jours, il avait perdu beaucoup trop de poids, et on a repris les trois bolus. « Le processus d’essais et erreurs est différent pour chaque enfant. Ce qui fonctionne pour un patient peut ne pas fonctionner pour un autre, explique la Dre Ramsay. C’est important de travailler de près avec la famille à chaque étape du processus. »

Au cours de cette période, Dante était pesé régulièrement. Il devait prendre du poids avant de réessayer le sevrage. Puis, en novembre 2017, la Dre Ramsay et son équipe ont senti qu’il était prêt. En plus de ses deux bolus, Dante a commencé à manger des morceaux d’aliments, comme de la viande hachée et, évidemment, du bacon. Au cours des six mois qui ont suivi, Dante a continué à manger des aliments une fois par jour, mais il ne prenait ni ne perdait de poids. « Nous avons dû arrêter de nouveau et reprendre les trois bolus, parce qu’il grandissait, mais ne grossissait pas. Il redescendait dans la courbe de croissance », se souvient Mariarosa. 

Un pas de plus

Découragés, Mariarosa et Michael ont commencé à désespérer que leur fils puisse un jour se passer de son tube G. « La Dre Ramsay nous a beaucoup aidés pendant cette période. Elle disait qu’elle était convaincue que Dante mangerait normalement un jour, et ça nous a donné beaucoup d’espoir, raconte Mariarosa. Elle nous a dit qu’il était déjà une réussite, parce qu’il n’était plus dépendant de son tube sur le plan psychologique. Il sait maintenant comment manger, et c’est un énorme exploit. »

Aujourd’hui, Dante se montre plus ouvert à essayer de nouveaux aliments, et il mange plus régulièrement par la bouche. « Chaque matin, il se réveille et dit “Maman, j’ai faim! Je veux déjeuner”. Des mots si beaux à entendre », dit-elle en souriant. Il peut maintenant avaler deux morceaux de toast tartinés de beurre et de Nutella à haute teneur calorique. Il reçoit encore la plupart de ses nutriments par bolus alimentaires, mais il peut maintenant ajouter un déjeuner et un lunch à tout ça. « Nous concentrons tous nos efforts à lui faire prendre du poids pour pouvoir reprendre le processus de sevrage, explique la Dre Ramsay. Et on y est presque! »

« Au début, mon mari et moi ne voulions pas du tube G, mais si c’est de cela que Dante a besoin, c’est de cela qu’il a besoin, dit Mariarosa. Nous voulions tellement qu’il soit un enfant “normal”, mais c’est sa normalité à lui. Quand il n’en aura plus besoin, on l’enlèvera; mais d’ici là, ça fait partie de lui, et nous ne voulons pas qu’il en ait honte. »