Le facteur manquant : grandir avec l’hémophilie

Gabriel (gauche) lors d’un récent rendez-vous de suivi au Service de soins complexes, accompagné de sa mère Helene et de son petit frère Robert (droite). Robert n’est pas atteint d’hémophilie, mais Helene en est porteuse.

Helene Zereik a passé les derniers jours à se demander si elle allait ou non laisser son fils de sept ans, Gabriel, participer à une sortie scolaire. Elle s’est même rendue au centre de plein air de L’Île-Perrot pour s’assurer que les lieux étaient suffisamment sécuritaires pour son fils. « Certains parents pensent que je suis surprotectrice, mais c’est notre réalité, explique-t-elle. C’est ce qui se produit quand vous avez un enfant hémophile. »

La réalité au quotidien

Gabriel est atteint d’hémophilie B, une anomalie génétique héréditaire qui rend très difficile l’arrêt d’un saignement. Dans le cas précis de Gabriel, son sang coagule moins de 1 % du temps en raison d’un manque de facteur IX, une protéine spéciale dans le corps qui aide le sang à coaguler. Ce manque prédispose Gabriel aux saignements dans les articulations. Quand il a commencé à ramper, il a dû porter des genouillères à cause de la friction; autrement ses genoux pouvaient enfler et devenir aussi gros que des cantaloups. Quand il était tout petit, sa mère lui faisait porter un casque en tout temps, de peur qu’il tombe et se frappe la tête. « Gabriel se fait des bleus très facilement; juste le fait de le mettre et de le sortir de son siège d’auto pouvait lui faire d’énormes ecchymoses au niveau de la cage thoracique », raconte Helene. À cinq ans, Gabriel a roulé en bas de son lit et s’est frappé la tête. Ses parents l’ont conduit rapidement au département d’urgence de l’HME, un endroit où ils passaient pratiquement un week-end sur deux quand Gabriel était petit.

La clé? La prévention

À cette époque, Gabriel était traité en fonction des besoins. Quand il se blessait, les médecins ou les infirmières du Service de soins complexes de l’HME lui donnaient du Benefix®, un médicament qui augmente temporairement le facteur IX à un taux normal. Cependant, l’efficacité de Benefix® commence à diminuer après 24 heures. Aujourd’hui, Gabriel a un traitement de prophylaxie, un terme médical qui indique qu’une personne est « traitée de manière préventive ». « Cette approche minimise le risque de saignement dû à une blessure », explique Tania Lafleche, l’infirmière de Gabriel à la Clinique d’hémophilie du Service de soins complexes. « Ses parents lui donnent du Benefix® deux à trois fois par semaine; ainsi, s’il se blesse, son corps renferme suffisamment de facteur IX pour arrêter le saignement. » Cette nouvelle réalité a réduit le nombre de visites à l’urgence, mais introduit un nouveau défi – l’administration de Benefix®. En effet, Benefix® doit être administré par voie intraveineuse, mais les veines de Gabriel sont très difficiles à trouver. « Ça me brisait le cœur de le voir assis là, alors que nous piquions ses bras à la recherche d’une veine », raconte Helene. Puis, son infirmière Tania a proposé qu’on lui installe un dispositif d’accès veineux sous la peau pour faciliter le processus. On a enseigné à sa mère et à son père à utiliser le dispositif, qui est situé du côté droit de sa poitrine; puis depuis janvier, ce sont eux qui administrent le traitement à la maison.

La clé de la réussite

Gabriel sait qu’il est différent des autres enfants et que la ligne est mince entre ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire. Quant aux sports, il ne peut pratiquer aucun sport de contact, mais il aime bien nager et patiner. La famille a même mis au point une routine bien à elle afin de réduire les risques que Gabriel se blesse. « Nous devons être prudents, alors nous essayons d’aller au parc tôt le matin avant qu’il y ait trop de monde, dit Helene. Tous ces choix de vie ont vraiment aidé à réduire mon anxiété et celle de Gabriel. » Mais en fin de compte, ses parents savent qu’il n’est qu’un enfant, un enfant qui aime grimper aux barres de suspension et faire le fou avec son jeune frère et sa sœur. « Nous ne pouvons pas contrôler chacun de ses mouvements, mais j’espère que sa maladie sera de plus en plus facile à traiter en grandissant. Éventuellement, il connaîtra mieux son corps et ses limites. »

L’hémophilie B est héréditaire et ne touche souvent que les hommes. Christian, l’oncle de Gabriel, est aussi hémophile, et il est traité à la Clinique d’hémophilie de l’Hôpital de Montréal pour enfants depuis l’âge de trois ans. Comme l’hémophilie est très rare, les patients sont suivis pendant toute leur vie à l’HME, l’un des quatre seuls centres désignés de traitement de l’hémophilie au Québec.